DEHORS !!!

Image

Le pire scénario se déroule sous nos yeux.

Les Ukrainiens sont attaqués par leurs policiers, leurs militaires, leur président. Car c’est la société ukrainienne qui proteste pacifiquement depuis trois mois, pas des « rebelles », « provocateurs » ou « terroristes », comme l’affirment les pouvoirs ukrainien et russe. Une société en colère qui demande un changement de gouvernement et une révision constitutionnelle afin de limiter les pouvoirs d’un chef d’Etat brutal qui refuse de négocier un compromis.
mm
Les Ukrainiens se sont mobilisés par centaines de milliers, dans presque toutes les grandes villes du pays, et par millions sur Internet, depuis novembre 2013. Pour sauver sa peau et sa fortune, le président Viktor Ianoukovitch fait tirer sur la foule. Le 19 février, il a annoncé une vaste opération antiterroriste dans tout le pays en mettant en action toutes les forces armées et celles de maintien de l’ordre. Il porte l’entière responsabilité des violences et des morts. Il joue son va-tout, car il a le soutien du Kremlin. Sans l’ingérence politique, économique et policière directe des autorités russes, le président ukrainien aurait déjà démissionné ou nommé un premier ministre de transition, en accord avec l’opposition. Il a conduit son pays à la catastrophe économique et sociale et l’entraîne maintenant dans un désastre humain, avec la mort de nombreux civils.
yy

TOUTES LES COMPOSANTES DE LA SOCIÉTÉ APPELLENT AU COMPROMIS

Viktor Ianoukovitch a perdu sa légitimité, obtenue dans les urnes en 2010. Il n’a pas le courage de négocier, d’accepter des limites à sa petite dictature sur un grand pays de 46 millions d’habitants. Le président feint l’ouverture et attire les opposants dans des discussions, puis se rétracte et impose des ultimatums. Il vient d’enterrer toute possibilité de solution mesurée, bâtie sur des concessions mutuelles, de part et d’autre des barricades.
gggPourtant, toutes les composantes de la société ukrainienne appellent au compromis. Toutes les Eglises du pays ont dénoncé le recours à la force : notamment l’Eglise gréco-catholique et même le métropolite Volodymir, chef de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, qui dépend du Patriarcat de Moscou. Les chefs des Eglises s’expriment ensemble à la grande tribune de Maïdan depuis le début de la protestation anti-Ianoukovitch. Ils ont certainement eu une influence sur le premier ministre Azarov, qui a démissionné en janvier. D’ailleurs, depuis le départ d’Azarov, les ministres devraient se contenter d’expédier les affaires courantes. Pourtant, le ministre de l’intérieur a institué un état d’urgence de facto. Les partis politiques, en concertation avec le comité populaire de Maïdan, ont tenté de maintenir le dialogue même après les durs affrontements du mois de janvier. Des comités populaires se sont formés dans d’autres villes ukrainiennes. Les plus actifs sont dans l’ouest du pays, mais on en compte aussi dans les grandes villes du sud et de l’est.
Bg6K-lOIYAAzeii
Depuis des mois, Viktor Ianoukovitch s’adonne à un jeu sournois, il fait des promesses, accepte de discuter pendant des heures avec des représentants de l’opposition, avec la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, et d’autres personnalités. Il a mené par le bout du nez les dirigeants de l’Union européenne en s’engageant dès 2012 à signer un accord d’association avec Bruxelles, puis en reculant de manière arbitraire, sans discussion au Parlement ni avec les entreprises ukrainiennes. Cet accord a surtout pour objet de faciliter les échanges et le commerce, ce n’est pas une étape vers l’adhésion à l’Union. Il n’est donc pas question de choisir entre la Russie et l’Europe, mais d’améliorer les chances de sortir l’Ukraine du marasme économique.

TROIS RAISONS DE LA VIOLENCE ACCRUE DEPUIS MARDI

Pourquoi les violences ont-elles repris, et à un degré beaucoup plus fort, ce mardi 18 février ? Pour trois raisons. La première concerne la duplicité des parlementaires serviles qui vivent au crochet d’un régime corrompu. Les députés de la majorité ont renié leur engagement de discuter et de voter sur une révision constitutionnelle pour rétablir le système précédent, qui limitait les prérogatives du chef de l’Etat.
Deuxièmement, les principaux chefs de l’opposition, Viktor Klitschko et Arseni Iatseniouk, rencontraient lundi 17 février la chancelière allemande à Berlin. Les gouvernements européens et la Commission européenne avançaient vers de nouvelles propositions d’aide financière à Kiev, en urgence, afin d’éviter l’effondrement de la monnaie et du budget.4371513_3_f9b3_olesya-zhukovska-une-volontaire-d-un-centre-de_f901d8434e7b9511ec5731c7726625f1
Troisième et principale cause de la décision d’écraser les manifestations dans le sang, la gestion de la crise par Moscou. A l’ouverture des Jeux olympiques à Sotchi, Viktor Ianoukovitch a rencontré son homologue russe, Vladimir Poutine. L’Ukrainien est revenu sûr de lui. Le 17 février, Moscou a posé un ultimatum à Kiev : une nouvelle tranche de 2 milliards de dollars serait immédiatement disponible à condition que Maïdan soit « nettoyée ». Viktor Ianoukovitch s’est exécuté.

L’EUROPE, TOUS LES EUROPÉENS, DOIVENT PARLER ET AGIR

Pour mener l’attaque le 18 février, il fallait accentuer la propagande contre les protestataires, les présenter comme violents, désorganisés, manipulés par l’étranger. Les termes de fascistes, criminels, terroristes sont repris par les circuits officiels en Ukraine et en Russie. Le calcul est de persuader les opinions européennes que les responsables des violences sont les citoyens en colère, et non Ianoukovitch et ses hommes. Il est urgent de contrer ce discours insensé et de rétablir la vérité des faits. L’Europe, tous les Européens, doivent parler et agir.
Car l’Ukraine ne se situe pas à la marge, elle est en Europe, tout comme la Russie est potentiellement dans le monde européen organisé autour du droit, de la paix, du libre-échange et du respect des libertés. Pourquoi accepter le diktat russe selon lequel toute prise de position européenne ou américaine serait de « l’ingérence qui pousse à la violence » ?
6980438
L’UE et nos gouvernements ont toujours défendu la souveraineté de l’Ukraine, et la possibilité pour cet Etat d’exister pleinement, en bonne intelligence avec ses voisins. M. Ianoukovitch n’est plus le représentant légitime de l’Ukraine et des Ukrainiens, M. Poutine l’est encore moins. Le Parlement européen devrait être représenté en permanence à Kiev. Quelques eurodéputés peuvent faire reculer la machine répressive.
Le président Viktor Ianoukovitch a quitté Kiev, selon l’opposition
hhLe président Viktor Ianoukovitch a quitté Kiev, a affirmé samedi 22 février l’un des responsables de l’opposition, Vitali Klitschko, devant les députés au parlement. Des journalistes de la télévision Kanal 5 avaient auparavant raconté avoir pénétré sans difficulté dans la résidence du président, d’habitude sous très haute protection, dans la banlieue de Kiev. Et des manifestants se trouvaient à une cinquantaine de mètres de l’entrée de la présidence, dans le centre de la capitale, a constaté un journaliste de l’AFP.

UNE MAJORITÉ PERTURBÉE

Par ailleurs, la majorité de Viktor Ianoukovitch semble se déliter au lendemain de l’accord de sortie de crise signée vendredi entre le président et plusieurs chefs de file de l’opposition. Dans la matinée, le président du Parlement ukrainien a quitté ses fonction. Dès l’ouverture de la séance, Volodimir Ribak, membre du Parti des régions et proche de Viktor Ianoukovitch, a annoncé sa démission pour « des raisons de santé ». Plusieurs députés du Parti des régions, au pouvoir, ont également annoncé samedi qu’ils quittaient cette formation.
1392989400011-AFP-527329426

Lire aussi : Ukraine : la rue doute de l’accord de sortie de crise

Les meneurs de l’opposition vont chercher samedi à convaincre les parlementaires d’adopter un texte qui exige la démission du chef d’Etat. « Nous allons présenter une résolution qui demande à Ianoukovitch de démissionner », a déclaré Oksana Zinoviyeva, porte-parole de l’Udar, la formation de l’ancien boxeur Vitali Klitschko qui a lui réclamé que la convocation d’une élection anticipée « d’ici au 25 mai ».

Ukraine : les cliniques improvisées de Maïdan en état d’alerte

Image

On a failli se laisser prendre à la voix douce de Tarass Semoushchak, à l’autorité du chirurgien en blouse, épuisé et efficace, qui écoute, oriente, informe les visiteurs d’une clinique de campagne établie à quelques centaines de mètres de la place de l’indépendance de Kiev, dite simplement Maïdan, « la place ».
Les icônes religieuses, les saints Michel paisibles alignés sur les étagères derrière le docteur, rassuraient aussi. Le centre de soin où M. Semoushchak soigne depuis mardi les blessés de Maïdan occupe une petite église blanche dans l’enceinte du monastère Saint-Michel au dôme d’or. Mais gare. Sous la blouse du chirurgien tranquille Semoushchak se cache un insurgé, pas moins violent que ceux qui portent des gourdins à la ceinture et qu’il couve du regard.
Les principaux leaders de l’opposition ukrainienne ont conclu un accord, vendredi 21 février, avec le président Viktor Ianoukovitch. Cette entente laisse espérer une sortie de crise. Mais la foule de Maïdan a conspué ses signataires vendredi soir et réclamé la démission de Ianoukovitch.

Image

Au moins 77 personnes sont mortes ici au cours des trois jours, dont un ami de M. Semoushchak. Celui-ci ne croit plus à un compromis avec le pouvoir depuis qu’il a vu les marques des tirs à la tête et au cou qui n’ont pas laissé une chance à leurs cibles. Dans sa clinique, il soignerait volontiers un policier blessé, dit-il. Mais dehors, dans la rue, « face à face, je le tue ». Cela tombe bien : on n’en voit plus un seul en ville vendredi.
Remarquez encore : sous sa blouse, M. Semoushchak porte des godillots de milicien, une veste rembourrée et un pantalon de treillis, une chemise à col brodé de cosaque zaporogue, noire comme le veut selon lui la tradition du guerrier, « pour cacher les taches de sang ».

Lire la synthèse : Ukraine : la rue doute de l’accord de sortie de crise

ATTENTE ET TOURS DE GARDE

La rage tranquille, étrangement joyeuse de M. Semoushchak, on l’avait déjà perçue vendredi matin parmi les hommes des groupes de défense de Maïdan. On en voyait paresser sur les sacs de sable au lendemain des violences, rire, s’allonger au beau milieu d’un trottoir et jouer avec un couteau dans un rayon de soleil.
6980446Depuis jeudi, les centres de soins qui les accueilleraient en cas de reprise des hostilités se sont réorganisés. Les manifestants ont repris aux forces du ministère de l’intérieur celui du palais d’octobre. Ils occupent depuis cinq jours le hall du conservatoire. Ils ont transféré le poste de coordination médical de la maison des syndicats, en partie incendiée, dans les hauteurs au monastère. On en compte vendredi une douzaine au total autour de Maïdan.

Voir la carte interactive : Maïdan, trois mois de révolte en une carte

Ce sont à chaque fois quelques tables d’opération de premiers secours, quelques cloisons de contreplaqué, des armoires, des chaises et des bancs où l’on aligne des boîtes de médicaments, des compresses, tout ce que des volontaires apportent à longueur de journée. Des médecins et des infirmiers s’y relaient. Ils viennent d’un peu partout en Ukraine pour quelques jours. Ils sont presque tous originaires de l’Ouest, notamment de Lviv, deuxième bastion de la contestation. Les violences ont radicalisé ces volontaires, et n’ont pas découragé ceux qui arrivent encore.

Image

Les médecins de provinces vont bien rentrer dans leurs hôpitaux dans les prochains jours. Mais beaucoup envisagent de revenir à Kiev. Ainsi Marta et Ivan Khavounka, qui finissent leur garde au palais d’octobre, peu après l’annonce du compromis. Ils emportent en vidant les lieux deux sacs plastique où ils ont fourré chacun un casque de métal et un gilet de protection assez épais pour les protéger d’un coup de matraque et d’une lame de couteau. C’est leur fils de 20 ans qui les leur a donnés à Lviv, mardi. On les distribuait dans une église.
« J’ai pleuré quand j’ai vu les premiers morts » à la télévision, en janvier, dit Marta, 36 ans.  « Cette semaine, je savais bien que la police avait déployé des snipers, mais un tel carnage… Je n’attendais pas ça. » Et la prochaine fois ? Marta espère qu’il n’y en aura pas d’autre. Oleg espère, lui, que Ianoukovitch « démissionnera de lui-même ».
iuy

Lire le portrait : Viktor Ianoukovitch, chef de clan et président honni

D’ici-là, une vingtaine de médecins et d’infirmiers patientaient vendredi soir tard dans la boutique du monastère Saint Michel, où l’on vend en temps normal icônes et bougies parfumées. Ils se sont regroupés à l’écart de Maïdan, entre eux comme en salle de garde. Ils boivent le thé, ils plaisantent, ils attendent.

Image

Bon comme un citron bien rond !