
Le président russe Vladimir Poutine a rencontré lundi à Moscou le Premier ministre israélien Nétanyahou au sujet de la guerre en Syrie. Selon Haaretz, cette visite semble refléter «le manque de foi [de ce dernier] dans la capacité et la volonté des Etats-Unis à protéger les intérêts sécuritaires israéliens.» La Russie est-elle un nouvel acteur majeur dans la région?
Les derniers renforcements russes en Syrie frappent l’imaginaire collectif. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide et l’intervention soviétique en Afghanistan, l’armée russe s’apprête à intervenir au Moyen-Orient. Les russes avaient conservé leur base de Tartous et fournissaient en armes l’armée syrienne mais Poutine a changé de braquet: désormais c’est l’armée russe qui frappe. Il s’agit d’un événement majeur qui va marquer l’histoire des relations internationales: un nouvel équilibre des forces au Moyen-Orient se met en place. Il faut se souvenir que les interventions américaines dans le Golfe ont été rendues possible par la chute de l’URSS. Mais progressivement la Russie poutinienne restaure les positions soviétiques au Moyen-Orient, ce que n’aurait pas déplu à Evgueni Primakov qui vient de disparaître.
Il faut toutefois nuancer. La stratégie russe n’est pas une logique de guerre froide et d’opposition aux armées occidentales mais plutôt d’aiguillon. L’idée est de participer à la coalition anti Daech en s’appuyant sur l’armée syrienne et non les «rebelles». Rebelles dont hormis quelques idéologues, on peine à distinguer des groupes djihadistes proches d’Al Qaeda. La Russie ne veut pas apparaître comme un trublion mondial. Au contraire, elle souhaite jouer un rôle dans le nouveau monde multipolaire qui s’ouvre après la fin de l’hégémonie américaine post-URSS.
Côté israélien, il y a une vraie déception vis-à-vis des Etats-Unis et un certain pragmatisme. Marqué par le conflit contre le Hezbollah au Liban-sud, le chef du Likoud a d’abord misé sur la chute de Bachar Al-Assad. Le premier ministre israélien a dès lors voulu jouer le Capitole contre la Maison-Blanche; mal lui en a pris. Ses réseaux dans le parti républicain n’ont pas suffit. Même les électeurs juifs démocrates n’ont pas suivi son obsession anti-iranienne. Peut-être aussi que la droite nationaliste israélienne voit d’un bon oeil l’émergence de Daech, qui peut cyniquement diviser le camp djihadiste, notamment le Hamas.
Par dépit, Netanyahou se tourne vers Moscou qui pourtant applique une politique pro-iranienne dans la région. Il s’agit sans doute d’une simple coordination technique entre les états-majors aériens. Netanyahou en profite aussi pour marquer sa désapprobation vis-à vis de l’administration Obama. Avec l’idée que le grand retour de la Russie au Moyen-Orient ne manquera pas d’être exploité par les républicains qui pointent la prudence excessive de Barack Obama.
Comment expliquer ce basculement alors que la Russie était la cible de violentes critiques de la part des EU et de l’UE?
Le principe de réalité finit toujours par prendre le dessus sur les émotions morales. La stratégie occidentale est en échec en Syrie depuis quatre ans. Le groupe des amis de la Syrie qui avait exclu les positions iranienne et russe n’a jamais pu apporter la preuve de la crédibilité de l’armée syrienne libre (ASL) et sa branche politique, le conseil national syrien. La Russie, de son côté, a toujours proposé ses bons offices diplomatiques pour dénouer le nœud syrien et trouver une solution interne au régime des Assad.
Pour l’opinion occidentale, les crimes de Daech sont désormais nettement plus insupportables que les tentatives de Bachar Al-Assad de rester au pouvoir. C’est donc la position russe qui apparaît la plus juste mais aussi la plus réaliste. On joue sur les mots mais plus personne en haut lieu n’appelle à un changement de régime à Damas. Mutatis mutandis, les occidentaux s’alignent sur la position russe. C’est-à-dire la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme islamiste.
La Russie semble être le pays le plus déterminé à attaquer Daech . Comment expliquer la lenteur des pays européens et des Etats-Unis à s’allier avec Moscou?
On disait l’économie russe à genoux, le pouvoir politique de Poutine vacillant, isolé sur la scène internationale. Il n’en n’est rien. Comme disait Bismarck, «la Russie n’est jamais aussi forte ni aussi faible qu’il n’y paraît.» Largement surestimée au cours de la guerre froide, la Russie a, depuis 25 ans, été négligée au Moyen-Orient. Mais l’image d’une armée russe en déliquescence dans les années 90 n’est plus d’actualité. Poutine et ses généraux se sentent suffisamment forts désormais pour se projeter au Moyen-Orient et déployer le meilleur de leur technologie.
Comme à son habitude, Vladimir Poutine a manœuvré en discrétion pendant tout le mois de septembre jusqu’à ce que son appui à l’armée syrienne ne puisse plus être contesté. Comme en Crimée et en Géorgie, Poutine ne veut pas provoquer mais les occidentaux sont mis en douceur devant le fait accompli, sans déclaration tonitruante ni fanfaronnade. Les rôles s’inversent puisque jusqu’à présent ce sont les occidentaux qui mettaient bruyamment la Russie devant le fait accompli.
Pour autant, les puissances occidentales, échaudées par leurs échecs successifs dans la région réalisent au fur et à mesure que Poutine et Lavrov peuvent poursuivre le rôle positif qu’ils ont joué dans les négociations avec l’Iran.
Laurent Fabius s’est montré hostile à la visite de parlementaires français en Crimée, et opposé à la vente des Mistral à Moscou. La France est sous embargo alimentaire russe depuis 2014 après les sanctions économiques prises à l’encontre de la Russie… Comment analysez-vous l’attitude de la diplomatie française envers la Russie? La France est-elle en train de manquer une rapprochement de poids avec Moscou?
La position de Laurent Fabius reste arque-boutée sur le départ de Bachar Al-Assad comme s’il vivait encore dans le mirage des printemps arabes. Mais Daech a pris de plus en plus d’importance jusqu’à la prise de Mossoul. Les occidentaux ont alors été contraint de prendre la défense de Bagdad et les militaires ont fait pression pour élargir les opérations à la Syrie. Jean-Yves Le Drian en France, John Kerry et Ashton Carter aux Etats-Unis ont été les premiers à pousser à reprendre le dialogue avec Damas. C’est eux qui tirent François Hollande et Barack Obama à se rapprocher de la position russe.
Laurent Fabius, toujours en retard d’une guerre, semble encore penser le monde des années 90. Depuis trois ans, il réclame le départ préalable de Bachar Al Assad sans tenir compte de la position russe. Dans un entretien paru aujourd’hui dans Le Figaro, il trouve pour la première fois absurde de demander des excuses à Assad avant toute discussion. Mais si on négocie avec un chef d’État, c’est reconnaître sa légitimité et sa capacité dans l’avenir à mettre en place l’accord. Ce qui n’est pas compatible avec une exigence de départ à court ou moyen terme.
Sur les questions de sécurité, Laurent Fabius qui se comporte en Vice-président, accumule les revers. Ses rapports avec la Russie ont semblé en opposition avec le ministère de la Défense dont l’approche est nettement plus réaliste. Engoncé dans un discours moralisateur, Laurent Fabius est en décalage avec les événements et semble avoir perdu tout crédit pour diriger la diplomatie française. Son départ en décembre, à la faveur du remaniement post-élections régionales pourrait permettre de renouer les liens traditionnels avec la Russie et redonner des marges de manœuvre à François Hollande.
Moscou engage ses premières missions militaires en Syrie.

Des drones russes ont survolé le ciel syrien dans le cadre de missions de surveillance. Moscou a par ailleurs déployé du matériel militaire et préparerait deux nouvelles bases pour accueillir des renforts.
Sans même attendre l’issue des discussions avec les Etats-Unis, la Russie se met ordre de marche militaire aux côtés de l’armée syrienne. La Russie a ainsi commencé à faire voler des drones pour réaliser des missions de surveillance en Syrie, selon des responsables américains. Ces vols seraient ainsi les premières opérations aériennes militaires de Moscou, qui a déployé ses armées sur la base aérienne syrienne, dans l’objectif de combattre le groupe de l’Etat islamique (EI).
Parallèlement, selon l’institut IHS Jane’s, spécialisé dans le renseignement, la Syrie préparerait deux nouvelles bases pour accueillir des renforts russes. «Après l’analyse d’images satellite, IHS Jane’s a identifié deux nouveaux sites en Syrie qui pourraient s’apprêter à accueillir des forces russes. Sur ces deux bases –le complexe de stockage d’armes Istamo et le complexe militaire Al-Sanobar, tous deux au nord de l’aéroport de Lattaquié– les préparatifs semblent en cours pour accueillir des forces russes», souligne l’institut basé à Londres.
Ces derniers jours, l’armée syrienne a reçu de son allié russe du matériel militaire pour l’aider à lutter contre les djihadistes de l’EI, selon une source militaire. «Notre armée a reçu de Moscou au moins cinq avions de combat et des avions de reconnaissance qui aident à identifier les objectifs avec une grande précision, ainsi que du matériel de combat sophistiqué pour combattre l’EI», a déclaré à l’AFP un haut responsable américain sous couvert d’anonymat.
«L’effet des armes russes commence à se faire sentir sur le territoire syrien», a ajouté ce haut responsable militaire. Il a précisé que l’armée syrienne avait «commencé à les utiliser» en visant particulièrement les positions de l’EI à Deir Ezzor (est) et Raqqa (nord), la «capitale» du groupe extrémiste qui contrôle près de la moitié du territoire de la Syrie. L’armée de l’air syrienne a multiplié ces derniers jours ses frappes, qui ont tué au moins 38 combattants de l’EI lundi dans le centre de la Syrie, notamment près de Palmyre, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Toutefois, le secrétaire d’Etat américain John Kerry estime lui que les avions que la Russie a déployés en Syrie sont là, pour l’instant, pour protéger leur base aérienne militaire plutôt que pour préparer une offensive et s’impliquer davantage dans le conflit syrien. «Oui, ils ont augmenté (le nombre) d’aéronefs (…) Mais pour le moment, nos militaires et la plupart de nos experts estiment que le niveau et le type (d’avions) représentent une force de protection pour leur déploiement sur une base aérienne», a répondu John Kerry lors d’une conférence de presse à Washington.«Il y a certains types d’aéronefs (russes déployés) là-bas qui pourraient soulever des questions quant aux intentions de la Russie à long terme», a toutefois reconnu John Kerry.
Les Etats-Unis s’alarment depuis des semaines du renforcement de la présence militaire russe en Syrie, où régime, rebelles, djihadistes et Kurdes s’affrontent sur un territoire de plus en plus morcelé après plus de quatre ans de guerre. Par ailleurs, alors que les Américains sont à la tête de la coalition internationale depuis un an, l’absence de coordination entre les avions sous commandement américain et ceux pilotés par les Russes dans l’espace aérien syrien font craindre de potentiels risques de collision, affirment certains observateurs.