Martin Bouygues sort son joker dans la bataille qui l’oppose à Numericable pour prendre le contrôle de SFR. S’il sort vainqueur de ce duel, Il propose tout simplement de vendre l’intégralité de son réseau mobile à Free, comme l’a révélé le Journal du Dimanche. Concrètement, Free pourrait payer jusqu’à 1,8 milliard d’euros pour récupérer un réseau mobile avec 15.000 antennes et les équipements électroniques qui y sont rattachés, ainsi que les fréquences dont dispose Bouygues.
Le groupe Iliad, maison mère de Free, a confirmé dimanche avoir signé un accord de négociations exclusives avec Bouygues et Bouygues Telecom «en vue du rachat d’un portefeuille de fréquences 2G/3G/4G et du réseau de téléphonie mobile de Bouygues Télécom pour un montant pouvant aller jusqu’à 1,8 milliards d’euros. «La cession n’interviendra que dans l’hypothèse où l’opération de rachat de SFR par Bouygues aboutit et que les autorisations nécessaires sont obtenues», souligne Iliad dans un communiqué.
Ces fréquences sont la véritable matière première d’un opérateur mobile pour offrir de la téléphonie mobile 2G, 3G et 4G. Bouygues dispose de belles fréquences, notamment deux (la bande 1800 Mhtz et 800 Mhtz) qui permettent de faire de la téléphonie mobile 4G. Or Free manque de belles fréquences pour cette dernière technologie d’Internet mobile très haut débit.
Trois opérateurs dotés de réseaux en propre
Alors que Martin Bouygues et Xavier Niel se sont régulièrement échangés des noms d’oiseaux depuis l’arrivée de Free sur le marché mobile, les deux hommes ont su se parler pour mettre cet accord au point. Bouygues et Free se sont mis autour d’une table mercredi car les deux groupes ont un intérêt commun à contrer Numericable. Bouygues veut emporter SFR et Free ne veut pas d’un concurrent trop puissant sur le marché de l’Internet fixe.
C’est cet intérêt commun qui explique que les deux groupes aient imaginé une solution aussi radicale. Elle permet d’apporter des solutions prêtes à l’emploi pour tout le monde. Le gouvernement aurait ainsi un schéma clair: un marché mobile qui revient à trois acteurs, tous sur un pied d’égalité: Orange et son réseau, SFR-Bouygues et son réseau et Free enfin doté d’un réseau. Pour l’autorité de la concurrence, la solution proposée facilitera l’examen de l’opération. Bouygues et SFR laissent un véritable espace concurrentiel à un acteur capable d’animer la guerre des prix. Par ailleurs, Free, enfin pourvu de son réseau, pourra donc abandonner l’accord d’itinérance passé avec Orange. L’autorité de la concurrence avait en effet demandé que cet accord prenne progressivement fin d’ici à 2016.
En cas de revente du réseau de Bouygues Telecom à Free, le basculement devrait être effectif au deuxième semestre 2015, le temps de transférer les abonnés mobiles de Bouygues Telecom sur le réseau de SFR.
Qui épousera SFR? C’est la question qui met en ébullition tout le secteur des télécoms. Le câblo-opérateur Numericable est officiellement sur les rangs pour racheter cette filiale dont Vivendi a prévu de se séparer. Et, depuis quelques jours, Bouygues envisage d’entrer dans la danse et pourrait se jeter à l’eau dès cette semaine. Free serait en embuscade.
Un rachat de SFR par Numericable ne bouleverserait pas le paysage du mobile en France. Une opération avec Bouygues ou Free serait en revanche une rupture: de quatre opérateurs mobiles, le secteur reviendrait à trois. Permettre à Bouygues ou Free de racheter SFR serait donc une décision lourde de sens pour ceux qui ont à la prendre.
En première ligne, il y a l’Autorité de la concurrence, qui a le pouvoir d’interdire ou d’autoriser, le cas échéant sous conditions, les mariages d’entreprises en France. Un feu vert serait pour elle un changement de doctrine. Il y a dix-huit mois à peine, elle avait retoqué, en coulisses, un projet entre Free et SFR. Aujourd’hui, du côté de cette autorité, c’est motus et bouche cousue. Aucun dossier n’a en effet encore été déposé. Et dans le secteur, on trouve autant de professionnels convaincus que le gendarme de la concurrence est prêt à changer de pied que de tenants de l’opinion inverse.
L’Autorité de régulation des télécoms (Arcep) devrait elle aussi opérer un sacré virage pour accepter un secteur dont le nombre d’acteurs serait ramené à trois. En début d’année, son président, Jean-Ludovic Silicani, avait d’ailleurs estimé que «si une concentration devait avoir lieu, elle conduirait sans doute à une hausse des prix rapide, comme c’est le cas en Autriche après le passage de 4 à 3 opérateurs: presque instantanément en un trimestre, fin 2013, les prix ont augmenté de près de 10 %! Une concentration s’accompagnerait aussi de suppressions d’emplois».
Du côté du gouvernement, l’heure est au pragmatisme. «La priorité du gouvernement en matière de télécoms, c’est le développement du très haut débit dans un cadre favorable à l’investissement, particulièrement à travers le plan France très haut débit, grand chantier d’infrastructures du quinquennat au service de tous les Français et de la compétitivité de notre pays ; mais aussi à travers la libération accélérée des bandes de fréquence pour le très haut débit mobile (4G, bande 700 MHz). Concernant les éventuelles opérations de concentration en cours, le gouvernement a pour seules préoccupations l’emploi et l’investissement», a déclaré vendredi au Figaro, Fleur Pellerin, ministre déléguée à l’Économie numérique.
Son ministre de tutelle, Arnaud Montebourg, parle plus franchement, pour dénoncer, comme en janvier dernier, «la balkanisation et le morcellement des opérateurs». Il s’était même targué avec humour de favoriser les «ententes» dans le secteur, pour mieux saluer l’accord de mutualisation que SFR et Bouygues Telecom ont signé, «prometteur pour consolider le retour du secteur aux bénéfices».
Chute du chiffre d’affaires
Autant dire que, du côté du gouvernement, on semble prêt pour un changement de doctrine. L’arrivée de Free en 2012 a pourtant atteint son but: elle a redonné du pouvoir d’achat aux consommateurs. L’an dernier, le prix moyen des abonnements a baissé de 12 %.
Mais la médaille a son revers. Sur le front social d’abord. Plusieurs observateurs du marché n’hésitent pas à évoquer la disparition de 40.000 à 50.000 emplois dans la filière télécoms en France. Sur le front de l’investissement ensuite. L’équipement en très haut débit fixe (fibre optique) et mobile (4G) nécessite au moins 20 milliards d’euros d’investissement d’ici à 2020. Or SFR et Bouygues Telecom ont perdu plus de 10 % de chiffre d’affaires en 2013 (Orange n’a pas encore publié ses comptes). Surtout, les marges des groupes ont énormément souffert et, avec elles, leur capacité d’investissement.
Enfin, avancent les défenseurs d’un retour à trois opérateurs, la concentration pourrait paradoxalement relancer… la concurrence. Les prix étant déjà parmi les plus bas d’Europe, de nouvelles baisses semblent peu probables. En regroupant leurs forces et en regonflant leurs capacités d’investissement, les opérateurs pourraient développer les services de leurs offres pour rivaliser entre eux.
Et dans l’hypothèse d’un mariage de Bouygues et SFR, les conditions qui pourraient être imposées par l’Autorité de la concurrence pourraient bénéficier à Free qui pourrait ainsi soit récupérer un réseau, soit obtenir la prolongation, au-delà de l’échéance de 2018, de son accord d’itinérance dans la 3G qui lui permet d’utiliser celui d’Orange. Il pourrait également récupérer des fréquences de Bouygues Telecom.
Autant de nouvelles capacités qui lui permettraient alors de relancer sa conquête de clients.
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