Irak : la poussée djihadiste s’accentue aux abords de Bagdad
Les rebelles seraient à 60 km de la capitale. Les forces kurdes se sont emparés de Kirkouk..
Au troisième jour de l’offensive djihadiste, qui s’est traduite par de nouvelles conquêtes à moins de cent kilomètres de Bagdad, ce sont les forces kurdes qui ont profité des violences pour avancer dans les zones qu’elles convoitaient depuis des années. Pour la première fois, les pechmergas ont pris totalement le contrôle de la ville pétrolière de Kirkouk, afin d’empêcher un assaut des djihadistes. L’armée régulière a complètement disparu de cette cité multiethnique, où la sécurité est normalement assurée par une force de police arabo-kurde et turkmène.
Mais les Kurdes, en marche vers leur indépendance depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, ne se sont pas contentés de Kirkouk. «Ils se sont déployés dans les zones à dominante arabe du sud de la ville, affirme depuis le Kurdistan un expert militaire occidental. Leurs pechmergas se sont également déployés à une trentaine de kilomètres au nord-est de Mossoul, ainsi que plus au sud dans la région de Khanaqin», dans la province de Diyala. Autant de secteurs que se disputaient jusqu’à présent le gouvernement autonome kurde et Bagdad.
Ce déploiement «préventif» pourrait préfigurer la création d’une zone tampon face aux djihadistes, qui y regarderont à deux fois avant d’affronter ces robustes guerriers. Ces zones reviendront-elles un jour dans le giron du gouvernement central? Rien n’est moins sûr. Même si les Kurdes font état de «contacts permanents» avec Bagdad, leur progression ne s’est certainement pas faite avec l’assentiment du premier ministre Nouri al-Maliki, avec lequel les Kurdes ont d’exécrables relations.
Une chose est sûre: cette poussée djihadiste et kurde accroît dangereusement la dislocation du pays. En effet, les rebelles sunnites menés par les djihadistes ont encore progressé dans la province d’al-Anbar, frontalière de la Syrie, ainsi que dans celle de Diyala, au nord-est de Bagdad, s’emparant jeudi soir de deux secteurs. Ils ont profité de l’étau militaire qui s’est desserré autour de Ramadi, qu’ils occupent partiellement, pour avancer près de Habbaniya, Hit et Haditha. Ils ont encore réussi à s’emparer de Doulouhiya, à 90 km seulement de la capitale.
En revanche, ils ont été repoussés à Samarra, siège d’un important mausolée chiite. Un échec dû au refus de la population locale, en majorité sunnite, de passer sous le joug des djihadistes. Ce qui est nouveau depuis le début de la conquête djihadiste, mais pas surprenant pour qui connaît le penchant loyaliste des habitants de Samarra. À 80 km plus au nord, la raffinerie de pétrole de Baiji est toujours entre les mains des forces gouvernementales.
À court terme, une prise de Bagdad par les djihadistes paraît exclue, étant donné la présence d’une importante base militaire à Taji, à 25 km au nord de la capitale, dans laquelle sont déployées des unités d’élite, et non pas des fantassins comme ceux qui ont plié bagages devant les djihadistes à Mossoul et Tikrit. Une débandade qui alimente le doute, au vu des scènes de soldats remettant leurs armes aux rebelles, sans crainte d’être liquidés.
«Je sais qui a donné l’ordre de retirer les militaires de Mossoul»,
a prévenu Maliki, qui n’a pas reçu ce jeudi mandat du Parlement pour décréter l’état d’urgence. Ses nombreux adversaires soupçonnent une manœuvre pour s’accaparer les pleins pouvoirs afin de consolider ses chances d’être reconduit au poste de premier ministre dans un pays en plein chaos. Au sud de Bagdad, les rebelles poussent également dans la région de Lattifiya, et à terme leur objectif sera probablement de paralyser les accès routiers menant à la capitale.
Qui sont les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant ?
Puissant et rompu aux combats, ce groupe de djihadistes sunnites qui mène l’offensive vers Baghdad rêve de créer un Etat islamique entre la Syrie et l’Irak.
Les rebelles sunnites poursuivent leur progression vers Bagdad. Après avoir pris le contrôle de Mossoul et sa province, puis Tikrit, les insurgés ont essuyé leur premier revers à Samarra, stopés par les forces gouvernementales. Mais ils se sont emparés de la ville de Dhoulouiya, à 90 km au nord de Bagdad et d’autres localités de la provinde de Diyala. Cette offensive éclair est l’oeuvre de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), un groupe de djihadistes sunnites extrêmement violent qui s’est renforcé en Syrie. Voici les éléments clés pour mieux connaitre cette organisation qui n’a qu’un rêve: fonder un Etat islamique de part et d’autre de la frontière syro-irakienne.
● Un groupe radical devenu incontournable
En dix ans d’occupation américaine en Irak, l’EIIL est devenue, selon l’ONU, «une organisation terroriste massive», qui inquiète aussi bien l’Iran que les Etats-Unis et l’Arabie saoudite. C’est une émanation de la branche irakienne d’al-Qaida, l’Etat islamique en Irak (ISI). En avril 2013, l’ISI annonce sa fusion avec le Front al-Nosra, groupe djihadiste présent en Syrie, pour devenir l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Mais al-Nosra refuse cette fusion, et les deux groupes s’engagent dans une guerre fratricide.
● De mauvaises relations avec al-Qaida
Aussi puissant que discret, le chef de l’EIIL, Abou Bakr al-Bagdadi, entretient de très mauvaises relations avec Ayman al-Zawahiri, le chef d’al-Qaida. Bagdadi conteste ouvertement son autorité en refusant de se retirer du front syrien au profit d’al-Nosra. Al-Qaida lui reproche par ailleurs sa haine des chiites et sa volonté absolue de créer un Etat islamique, au dépens d’autres priorités.
● Des hommes rompus aux combats
Dans ses rangs, l’EIIL compte essentiellement des Irakiens qui ont une très bonne connaissance du terrain, mais aussi de nombreux Syriens formés par trois ans de guerre contre Bachar el-Assad. Ces dernières semaines, la présence de djihadistes français et belges dans les rangs de l’EIIL a été établie. D’autres combattants ont été formés en Tchétchénie ou en Afghanistan. Dans leur offensive, ils libèrent les prisonniers des villes irakiennes tombées entre leurs mains afin de grossir leurs rangs. Au total, le groupe compterait entre 4000 et 5000 combattants en Irak, et le double au moins en Syrie.
● De nombreux financements
Les recrues de l’EIIL sont plutôt bien payées. La contrebande de pétrole irakien et syrien constitue leur principale source de financement qui rapporte plusieurs millions de dollars. Le groupe bénéficie également d’entrées d’argent grâce aux rançons d’otages et à des saisies auprès de commerçants et de banques. Ils ne bénéficient pas du soutien d’un Etat, mais ils peuvent compter sur des dons privés émanant principalement du Golfe. Dans leur progression de Mossoul vers Bagdad, les ils ont également saisi des armes et de l’argent.
● Des soutiens sunnites
Dans son offensive pour tenter de renverser le pouvoir central, l’EIIL peut compter sur le soutien de certaines tribus et de segments de la communauté sunnite, exaspérée par la politique du premier ministre chiite Nouri al-Maliki qui les a ostracisés. Mais cet appui pourrait être de courte durée au vu de leurs méthodes extrêmement violentes. En Syrie, ils ont enlevé, torturé et décapité des opposants, parfois même dans les rangs rebelles. Ce qui a poussé l’ensemble des coalitions anti-Assad à retourner leurs armes contre l’EIIL.
● Des conquêtes territoriales
Le groupe a profité de la porosité de la frontière syro-irakienne pour mener une violente offensive en Irak. En janvier, des insurgés menés par l’EIIL ont pris le contrôle de Fallouja et de secteurs de Ramadi, à l’ouest de Bagdad. Mardi, ils ont également pris le contrôle de Mossoul et de sa province, mais aussi de secteurs des provinces de Kirkouk et de Salaheddine. Repoussés à Samarra, ils se sont emparés de la ville de Dhoulouiya, à 90 km au nord de Bagdad et d’autres localités de la provinde de Diyala. L’EIIL a désormais la main sur de larges portions d’un territoire quasi continu qui s’étend de Raqqa à l’est de la Syrie jusqu’à Falloujah aux portes de Bagdad, en passant par Mossoul.







