En Iran, l’ouverture du président Rohani semble avoir le soutien du Guide

Des millions de « like » (« J’aime ») sur Facebook et de grands poètes persans appelés à la rescousse sur le réseau social pour évoquer cette « rivière de joie qui coule en nous ». Le président iranien, Hassan Rohani, en poste depuis moins de deux mois, a suscité une immense vague de sympathie et d’espoir dans son pays pour avoir, vendredi 27 septembre, parlé quinze minutes au téléphone avec le président américain Barack Obama juste avant de prendre l’avion qui le ramenait à Téhéran. Cela faisait trente-quatre ans que des chefs d’Etat iranien et américain n’avaient pas échangé un mot.

Son geste, à la fois audacieux et décontracté, a confondu les sceptiques qui, durant tout son séjour à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies, ont disserté sur le périmètre exact de son pouvoir, strictement limité par le Guide suprême, Ali Khamenei. Or le président « modéré » semble avoir su utiliser toute la marge de manoeuvre à sa disposition. Ce faisant, et quelle que soit l’âpreté des négociations sur le dossier nucléaire iranien qui auront lieu à Genève les 15 et 16 octobre, il a profondément marqué ses compatriotes.

« Pour ma génération, qui devait marcher sur le drapeau américain avant d’aller en cours et crier « Mort à l’Amérique » [à l’école], cet appel signifie l’effondrement d’un de ses principes d’éducation. Mon enfance a été empreinte de haine », écrit un certain Pedram sur sa page Facebook.

REVALORISATION DU RIAL, LA MONNAIE IRANIENNE

Comme lui, les Iraniens se frottent les yeux. Les deux mandats de Mahmoud Ahmadinejad les avaient habitués à ce que tout aille de mal en pis : les relations de l’Iran avec le monde extérieur ainsi que la situation économique. Or, depuis quelques jours, l’actualité à Téhéran a pris un tour très différent. Le rial, la monnaie nationale, a repris de la vigueur face au dollar. Certaines sanctions vont être allégées, notamment celles frappant la compagnie maritime nationale et la banque de développement des exportations. Et lundi 30 septembre, sur son compte Twitter, le président Rohani confirmait avoir demandé que soit étudiée la possibilité d’un vol direct entre Téhéran et New York.

Dans la foulée, certains se demandent s’il faut continuer de crier « Mort à l’Amérique » à l’école, dans les mosquées et à chaque manifestation publique. L’imam de la prière du vendredi d’Ispahan, l’hodjatoleslam Mohammad-Taghi Rahbar, a ainsi estimé que la fin des hostilités entre l’Iran et les Etats-Unis était envisageable. « Le slogan « Mort à l’Amérique » n’est pas inscrit dans le Coran », a-t-il déclaré dans un entretien au journal Ghanoun, le 29 septembre. « A un moment, nous avons arrêté de prononcer des slogans contre l’URSS, nous pouvons faire pareil avec l’Amérique », a poursuivi M. Rahbar.

Ces développements, impensables il y a peu, provoquent de nombreuses réactions et mises en garde des conservateurs du régime. La plus sérieuse est venue du commandant des Gardiens de la révolution, Mohammad-Ali Jafari, qui a regretté, lundi 30 septembre, « l’erreur tactique » du président Rohani, consistant à ne pas avoir refusé l’appel téléphonique de son homologue américain. Il réagissait là aux déclarations de l’entourage du président Rohani, qui répète plusieurs fois par jour que c’est la Maison Blanche qui a pris l’initiative de cet appel, alors que les collaborateurs de Barack Obama prétendent au contraire que Téhéran était à l’origine de la conversation.

Qui a appelé qui ? La question peut sembler anodine, mais elle provoque les foudres des conservateurs. Lundi 30 septembre, le quotidien ultraconservateur Kayhan s’interrogeait ainsi avec perfidie : « Si la proposition est venue de M. Rohani, le fait de l’attribuer aux Américains n’est-il pas en contradiction avec ce gouvernement qui se targue de vérité ?  »

LE CAMP CONSERVATEUR DESTABILISÉ

Sur le fond, les conservateurs estiment que cet appel est intervenu trop tôt. « Le président aurait dû reporter la conversation avec son homologue américain au moment où les Etats-Unis auraient accompli des actes concrets », a poursuivi M. Jafari. La presse conservatrice tente, elle aussi, d’accréditer l’idée que l’Iran a déjà fait des concessions alors que les Etats-Unis pas encore. « Nous avons donné des avantages concrets mais n’avons obtenu que des promesses », a titré le quotidien Kayhan en « une », dimanche 29 septembre.

Les inquiétudes des Gardiens de la révolution et des ultraconservateurs, cependant, pourraient bien ne pas viser les initiatives du président Rohani, dont ils savaient bien qu’il allait tenter une opération séduction à New York, mais sur les intentions véritables du Guide suprême, Ali Khamenei. Car tout indique que ce dernier a expressément autorisé le président à faire ce qu’il a fait. Il a d’ailleurs envoyé deux de ses plus proches collaborateurs saluer et féliciter Hassan Rohani à son arrivée à l’aéroport de Téhéran, samedi 28 septembre : Ali Akbar Velayati, ancien ministre des affaires étrangères, et Ali Chamkhani, que le Guide vient de nommer à la tête du Conseil de sécurité nationale.

La présence à l’aéroport de ces deux poids lourds du régime relativise la portée de la petite manifestation de contestation qui y a aussi eu lieu : près de soixante adversaires du président ont conspué l’Amérique et souhaité la mort d’Israël. L’un d’eux a jeté une chaussure en direction du président Rohani qui pavoisait par le toit ouvrant de sa voiture, sans l’atteindre. Lundi, la police a annoncé deux arrestations relatives à ce lancer de chaussure.

Pour les observateurs, l’épisode new-yorkais vient rappeler que Hassan Rohani est bien, dans la République islamique, l’homme des contacts avec l’Occident. En 1986, c’est lui qui avait accueilli, à Téhéran, une mission secrète dépêchée par la Maison Blanche. Le président Ronald Reagan espérait alors tirer profit, pour un rapprochement historique, des ventes d’armes clandestines à l’Iran qui avaient débuté à l’été 1985. La tentative avorta avec l’éclatement du scandale dit de l' »Irangate ».

En 2003, c’est encore lui qui a mené les négociations sur le programme nucléaire iranien, dont l’ampleur venait d’être révélée. A chaque fois, Hassan Rohani a agi sur mandat du Guide suprême et c’est bien cela qui, aujourd’hui, déstabilise le camp conservateur.

Bon comme un citron bien rond !

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