Le 8 août 2014, non sans un retard qu’elle reconnaît, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mettait en branle sa riposte à l’épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest et décrétait qu’il s’agissait d’une « urgence de santé publique de portée internationale ». Dimanche 25 janvier, à l’issue d’une session spéciale consacrée à ce que la directrice générale, Margaret Chan, qualifie de « mégacrise », son conseil exécutif a adopté à l’unanimité une résolution consacrée aux défis posés et aux profondes réformes structurelles dont l’organisation onusienne a besoin pour remplir son mandat.
Rôles technique et normatif qui ont pris le pas sur les aspects opérationnels, nominations dans les bureaux nationaux de l’OMS sur des critères plus politiques que techniques, manque d’harmonisation et de coordination aux différents niveaux nationaux, régionaux et global de l’organisation, lacunes dans la gestion des ressources humaines, manque de flexibilité et de réactivité face aux urgences, lenteur dans la disponibilité et l’allocation des financements… Les carences ne manquent pas, malgré l’ampleur in fine de la mobilisation de l’OMS qui a à présent sur le terrain des trois pays les plus touchés – Guinée, Liberia et Sierra Leone – quelque 700 membres de son personnel.
« LE MONDE A ÉTÉ TROP LENT »
Lors des débats du conseil exécutif, certaines critiques n’ont pas été formulées à mots couverts, notamment par les Anglo-Saxons. « Nous devons avoir honte, car nous avons fait beaucoup trop peu ! », s’exclamait la représentante du Royaume-Uni, qui saluait toutefois la force du soutien actuel aux pays touchés. « L’OMS que nous avons n’est pas l’OMS dont nous avons besoin pour répondre aux urgences », assénait l’orateur parlant au nom des Etats-Unis. « Cela n’aurait pas dû se passer de cette façon. Cela ne doit plus se reproduire. Nous espérons que des solutions vont combler les lacunes et les failles », commentait la porte-parole de la Sierra Leone.
En ouvrant la session, Mme Chan a affirmé que « le monde, y compris l’OMS, a[vait] été trop lent à voir ce qui se déroulait sous [se]s yeux ». Pour la directrice générale, « l’épidémie d’Ebola montre la nécessité d’un changement urgent dans trois domaines : reconstruire et renforcer la préparation et la riposte nationales et internationales aux urgences, aborder la manière dont les nouveaux produits médicaux arrivent sur le marché et renforcer la manière dont l’OMS opère lors des urgences ». Bien sûr accuser l’OMS de tous les maux serait oublier la faiblesse des systèmes de santé et plus globalement des Etats qui ont été frappés par Ebola après avoir connu les affres des guerres civiles, ou les négligences de la communauté internationale et des industriels, qui ne s’empressent pas de mener des recherches sur les maladies frappant les pays pauvres. De ce fait, aucun traitement ou vaccin n’était disponible contre ce virus.
Mais la résolution adoptée par le conseil exécutif confirme le « rôle central et spécialisé joué par l’OMS dans la préparation et la riposte aux urgences ». Elle avance donc un certain nombre de demandes allant dans le sens d’une plus grande autorité du siège et « l’accélération de la réforme en cours de l’organisation ». Elle « invite la directrice générae à envisager de nommer immédiatemen, à l’issue de la session spéciale et pour la durée de l’épidémie, un représentant spécial avec le grade et l’autorité appropriés pour prendre la responsabilité de tous les aspects de la coordination aux trois niveaux [national, régional et mondial] et de la riposte à l’actuelle épidémie d’Ebola ». Elle « réaffirme l’autorité de la directrice générale pour réallouer les ressources existantes, en tant que de besoin [sans] compromettre les priorités de programme ». De même, elle « attend de l’ensemble des niveaux de l’organisation qu’ils coopèrent avec la directrice générale et la soutiennent dans sa tâche de prendre toutes les mesures nécessaires ».
« FONDS DE RÉSERVE »
Le document prône le renforcement des systèmes de santé des Etats membres, le recrutement, la formation et des conditions de travail satisfaisantes pour les personnels de santé, ainsi que le développement des capacités nationales et internationales d’information et de surveillance des épidémies. Pour assurer le soutien à la recherche de médicaments et vaccins, il fait référence à des modèles « soutenant la déconnexion entre le coût de nouvelles recherches et développement et le prix des médicaments ». Concrètement, la résolution va se traduire par plusieurs mesures. Tout d’abord, la mise en place d’un « fonds de réserve » d’un montant de l’ordre de 100 millions de dollars (90 millions d’euros) qui sera alimenté par ces contributions volontaires des Etats membres. Lors de la session, le Royaume-Uni a annoncé qu’il verserait 10 millions de dollars.
Ensuite, comme le prévoit le règlement sanitaire international édicté par l’OMS et révisé en 2011, une « force de réserve en santé publique mondiale » doit être mise sur pied. La direction générale est invitée à prendre immédiatement les dispositions afin de constituer à tous les niveaux de l’organisation des équipes de riposte aux urgences formées et en nombre adéquat. Elle doit également développer et approfondir les partenariats, omme celui rassemblant des laboratoires à travers le monde, et renforcer les mécanismes de coopération avec les autres agences des Nations unies.
Afin d’évaluer et les réformes entreprises, la résolution prévoit enfin une évaluation de l’action menée depuis le début de l’épidémie par un panel externe d’experts indépendants, qui devra être présentée à la prochaine assemblée mondiale de la santé, en mai 2015. L’application du Règlement sanitaire international doit elle aussi faire l’objet d’un examen par un comité d’experts, entre autres pour déterminer d’éventuelles modifications à apporter à ce document qui a une valeur juridique contraignante pour les Etats membres.
Sur le terrain, malgré l’amélioration de la situation – jadis le plus touché, le Liberia a annoncé, le 24 janvier, qu’il ne comptait plus que 5 cas confirmés – il est encore trop tôt pour parler d’une inversion de la tendance. L’épidémie peut redémarrer, en particulier dans quelques mois quand la saison des pluies reviendra. Intervenant lors de la session spéciale, Jérôme Oberreit, secrétaire général de Médecins sans frontières (MSF), a refusé de parler de situation sous contrôle.
PLUSIEURS TROUS BÉANTS
L’association humanitaire qui très tôt a apporté ses soins à pratiquement un quart de l’ensemble des malades d’Ebola estime que plusieurs trous béants existent dans la riposte à l’épidémie qui sévit depuis dix mois. Ainsi, il n’existe « pratiquement aucun échange d’information dans le suivi à travers les frontières des personnes en contact avec un cas, les équipes de surveillance manquent encore des moyens de base pour la recherche des cas actifs » ou encore « un accès en toute sécurité aux soins pour les patients non Ebola est largement négligé ».
Représentant la France, le professeur Jean-François Delfraissy, a notamment rappelé l’engagement français d’aider à créer un réseau Ebola 2015 de surveillance et d’alerte en Afrique de l’Ouest, qui a fait cruellement défaut au démarrage de l’épidémie, et a annoncé pour dans les quinze jours la présentation à l’OMS des premiers résultats de l’évaluation d’un médicament antiviral contre Ebola, le favipiravir.