L’équipe a bouclé son nouveau numéro, en kiosques mercredi, et reprend son rythme hebdomadaire.
Un chien qui gambade, un Charlie Hebdo roulé dans la gueule. A ses trousses, une meute de clébards hostiles, qui ont les traits de Sarkozy, de Marine Le Pen, d’un jihadiste, d’un pape avec sa mitre, d’un grand patron, des dollars entre les crocs. Dans la cohue, sur fond rouge vif, on aperçoit un micro de BFM TV. «…C’est reparti !», proclame la manchette en lettres capitales.
Voici la une de Charlie Hebdo numéro 1179, en kiosques mercredi et signée Luz, comme la précédente. Après six semaines sans parution, et un peu moins de deux mois après l’attentat qui a décimé la rédaction du journal satirique, Charlie reprend une parution hebdomadaire.
«Faut qu’on parle du retour de Charlie, mais pour dire que Charlie recommence à faire son travail, son travail contre la bêtise, contre le FN…» Là, c’est le dessinateur Luz qui parle, mais tout le monde opine du chef. A quelques heures du bouclage, ce lundi matin, une quinzaine de dessinateurs, journalistes, maquettistes, correcteurs, est réunie pour éditer les pages, et choisir la une et la dernière page, où figurent les fameuses «
«TOUS LES TRUCS ET TOUS LES GENS QUI NOUS EMMERDENT»
Les gens arrivent au compte-gouttes, s’embrassent avec chaleur. Le dessinateur Willem, ses dessins sous le bras, est applaudi à son entrée. Mais l’ambiance est plutôt studieuse. L’urgentiste Patrick Pelloux a été le dernier à rendre sa copie: «J’ai eu du mal à écrire, je ne savais pas s’il fallait reparler de l’attentat ou pas… Finalement, j’ai choisi la grippe!»
Au fur et à mesure que la matinée avance, de plus en plus de dessins sont scotchés sur un mur du hublot, la salle du 8e étage que Libération prête à Charlie Hebdodepuis l’attentat. Des crobards de Coco, de Catherine, de Foolz, de Luz… Et de Riss, blessé lors de l’attentat, qui s’est échappé quelques heures de l’hôpital où il fait sa rééducation de l’épaule, pour piloter le bouclage. Il est désormais directeur de la publication de Charlie.
«Faut qu’on fasse la une, tu fais quoi là, Luz ?», demande Riss. «Je dessine des chatons !», rigole le dessinateur. Le sens de ce numéro, c’est de dire que «la vie reprend, note Riss. Derrière, tu peux mettre les gens du FN, tous les trucs et tous les gens qui nous emmerdent».
Au milieu des piles de journaux et des pots à crayon, les secrétaires de rédaction travaillent sur les textes. Au sommaire de ce numéro, en texte ou en dessin, une interview du nouveau ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, DSK, Copenhague, le salon de l’Agriculture, la profanation d’un cimetière juif… Et surtout, deux nouveaux dessinateurs : l’Algérien Dilem, et Pétillon, jusqu’ici habitué du Canard enchaîné.
L’hebdo veut choisir sa une le plus tôt possible, pour vite envoyer le journal à l’imprimerie. Et avoir le temps pour choisir entre différents scénarios de mise en vente. Car entre son tirage habituel (50 000 exemplaires), et celui du numéro«Tout est pardonné» du 14 janvier (8 millions d’exemplaires), la jauge est difficile à placer. Finalement, la direction du journal a décidé de tirer ce numéro à 2,5 millions d’exemplaires.
«PLUS DÉPRIMANT»
L’équipe se regroupe devant le mur où sont affichées toutes les propositions de une. Le choix se fait vite sur celle de Luz, «un truc joyeux», se réjouit-il. Mais on discute du texte de manchette : «On met « Retour à la normale » ?» «Ou « la vie reprend » ?» «Moi j’aime bien « Et c’est reparti ».»
Luz se frotte les yeux, reprend son dessin. Dans la première version, il avait représenté un chien Valls à côté des chiens Marine Le Pen et Sarkozy.
«Mais j’ai fait un sondage autour de la table, et personne ne l’a reconnu !» En tout cas, il est«ravi d’avoir dessiné des animaux. Surtout des chiens : ce sont des animaux irresponsables et soumis. Irresponsable, c’est Charlie, soumis, c’est tous les autres qui courent derrière.»
Luz et Catherine comparent ce bouclage au précédent, quelques jours à peine après l’attaque du 7 janvier. Luz : «Aujourd’hui, c’est beaucoup moins fatigant nerveusement, mais aussi beaucoup plus déprimant.» Catherine : «La dernière fois, il y avait une forme d’euphorie et d’énervement, on était plus à vif. Là, on est plus mous.» Luz : «En fait, on est déprimés parce qu’on retourne vraiment au boulot…»
«Charlie Hebdo»: Six questions que vous vous posez aujourd’hui sur le journal satirique.
Près d’un mois et demi après la parution du «journal des survivants», le nouveau Charlie Hebdo sera en kiosques ce mercredi. Ce numéro, qui sera tiré à 2,5 millions d’exemplaires, a été élaboré dans les locaux du journal Libération, qui a accueilli les dessinateurs rescapés au lendemain de l’attentat du 7 janvier dans les locaux de l’hebdomadaire. Six questions que vous vous posez aujourd’hui sur Charlie Hebdo.
A quel rythme va reparaître «Charlie Hebdo»?
Depuis le «numéro des survivants» avec Mahomet en une, publié une semaine après l’attentat meurtrier du 7 janvier, Charlie Hebdo a connu six semaines d’interruption. Sur cette période, près de 8 millions d’exemplaires de ce numéro historique du journal satirique se sont écoulés. Ce mercredi 25 février, ce sera donc le deuxième numéro de Charlie à paraître en kiosques après le drame. Il sera tiré à 2,5 millions d’exemplaires. A partir de cette date, il sera à nouveau publié à un rythme hebdomadaire.
Qui remplace le directeur de la publication Charb, assassiné le 7 janvier?
C’est Riss qui assure désormais cette fonction. Le dessinateur de 48 ans, qui a participé à la naissance de Charlie en 1992, a fait beaucoup de croquis d’audiences et couvert les procès Touvier et Papon pour le journal satirique. Après le départ de Philippe Val de la rédaction en 2009, il a co-dirigé le titre avec Charb. Riss était présent dans les locaux du journal le 7 janvier. Il a été blessé lors de l’attentat. «Quand les mecs sont entrés, je me suis couché avant même qu’ils commencent à tirer. Les autres sont restés debout. Un des gars a tiré un peu au jugé et m’a touché l’épaule, raconte-t-il à Libération. Quand ils sont partis, je n’ai pas bougé. Je pensais qu’il y avait peut-être un mec qui attendait pour achever les survivants.» Depuis l’attentat, le nouveau directeur de la publication est placé sous protection policière. Libération, qui accueille dans ses locaux les dessinateurs depuis près de deux mois maintenant, rapporte que Riss «s’est échappé quelques heures de l’hôpital où il fait sa rééducation de l’épaule» lundi pour piloter le bouclage du numéro à paraître.
Qui collabore aujourd’hui à «Charlie»?
Combien d’abonnés compte désormais le journal satirique?
Élan de solidarité envers les victimes, volonté de défendre la liberté de la presse et la liberté d’expression… Des dizaines de milliers de personnes se sont abonnées à Charlie Hebdo après l’attaque terroriste. Le titre compte aujourd’hui 240.000 abonnés. Un chiffre exceptionnel. Avant l’attaque terroriste, Charlie Hebdo comptait seulement 10.000 abonnés. Le défi est de pérenniser le nouveau public qui découvre l’hebdomadaire satirique. Il sera difficile à relever pour l’historien des médias Patrick Eveno. Interrogé par l’AFP début février, il estimait: «Ce ne sera pas simple de garder ces abonnés-là, qui sont venus pour exprimer leur solidarité et leur croyance dans la liberté d’expression.»
Combien d’argent a reçu le journal depuis l’attentat?
Charlie Hebdo peut compter intégralement sur les abonnements et les recettes de ses ventes en kiosque pour vivre aujourd’hui. «Les recettes du journal [ventes et abonnements] seront consacrées intégralement à sa pérennisation, quel qu’en soit le montant», avait indiqué Eric Portheault, co-gérant de Charlie Hebdo, début février. «Il n’y aura pas de dividendes pour les actionnaires.» A raison de 70 euros en moyenne par abonnement, le journal devrait recueillir environ 17 millions d’euros. Par ailleurs, les 8 millions d’exemplaires du numéro des survivants devraient rapporter plus de 10 millions d’euros nets au journal. S’ajoutent une aide d’un million d’euros du ministère de la Culture pour aider à la pérennisation du titre, un don de 250.000 euros du fonds Google pour l’innovation numérique de la presse et 132.000 euros du journal britannique The Guardian. Le montant des dons envoyés par les particuliers à Charlie depuis le 7 janvier sera, quant à lui, intégralement reversé aux ayants droit des victimes. Il atteint désormais les 2,4 millions d’euros.
Où en était le journal l’an dernier?
Le journal satirique était en difficulté financière avant l’attentat. En novembre 2014, la rédaction avait lancé une cagnotte sur Internet et publié un article intitulé «Charlie est en danger» pour informer que la viabilité du journal satirique était menacée. «Il n’est pas question pour nous d’augmenter le prix de vente de Charlie, et pourtant il faut qu’on trouve rapidement les moyens de continuer à exister sans dépendre d’actionnaires extérieurs ou de l’attaque de banques», s’alarmait le titre.