À l’heure où la centrale de Fukushima nourrit toutes les inquiétudes,
on est retourné à Tchernobyl, en Ukraine, vingt-cinq ans après la plus grande catastrophe nucléaire de tous les temps.
Un territoire toujours contaminé, fermé à l’homme, mais où la faune et la flore prolifèrent étrangement.
Enquête en zone interdite…

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Avril 2011.

Tchernobyl. A peine 200 mètres après le premier check-point de la zone d’exclusion, la gomme de la Skoda agrippe le bitume et s’arrête brutalement au milieu de nulle part. Autour, les herbes hautes de la prairie ondulent sous une brise vagabonde. Soleil fringant mais froid d’acier. Une harde d’équidés sauvages broutent paisiblement; mythiques chevaux de Prjevalski. Le troupeau compte une dizaine d’animaux, juments et poulains légèrement en retrait de l’étalon dominant, qui, tête haute et naseaux ouverts à l’effluve étrangère, défie quiconque de s’approcher. Malgré la mue de printemps qui tigre la robe isabelle, force est de constater l’insolente santé des bêtes, une population d’autant plus fragilisée que l’espèce est classée en voie d’extinction. Aujourd’hui, une cinquantaine de spécimens profite de ce havre de paix.

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Bienvenue dans le laboratoire le plus étonnant de la planète où énigmes et paradoxes se succèdent, où enjeux politiques et querelles scientifiques nourrissent un débat cacophonique. Chiffres, études et publications s’enchaînent, les uns invalidant souvent les autres au gré de l’opinion des protagonistes pro ou antinucléaires.

Avril 1986.

Samedi 26, 1h23 du matin. A la suite d’un exercice de sécurité, les ingénieurs perdent le contrôle de la Centrale Lénine. L’accident conduit à la fusion du réacteur n° 4. Deux explosions suivies d’un incendie entraînent des rejets considérables de matières radioactives dans l’environnement ainsi que la projection de débris de combustible. La radioactivité totale rejetée dans l’atmosphère a été de l’ordre de 12 milliards de milliards de becquerels (30.000 fois les rejets des installations nucléaires dans le monde en un an) sur une durée de dix jours. Le panache radioactif a disséminé des gaz rares, de l’iode, du césium, du strontium et du plutonium. Deux cent cinquante mille personnes ont été déplacées, 135.000 évacuées dont les 49.000 habitants de la ville de Pripiat, cité abandonnée en trois heures avec le soutien d’un millier de bus réquisitionnés pour l’occasion; 2044 kilomètres carrés vidés de toute présence humaine. Restent aujourd’hui quelques cartes jaunies épinglées aux murs rongés d’humidité où le «désastre», comme on l’appelle ici, se résume à deux cercles – administratifs – tracés au feutre gras ; le noyau dur d’une circonférence de 10 kilomètres se situe autour du réacteur n° 4, le second périmètre, de 30 kilomètres, clôture l’ensemble du site de la zone interdite.

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La nature a horreur du vide !

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Autour, la nature a repris ses droits. Partout, une faune et une flore aussi inattendues qu’insolentes de prospérité. Elans, lynx, ours, chevreuils, cerfs, loups se sont réapproprié l’espace. Ambiance… Un couple de rouges-queues noirs trille à la cime d’un arbre alors qu’une pie jacasse sur les basses charpentes. Une martre poursuit un rongeur dans les ramures d’un bouleau. Décelant la présence du prédateur, une portée de mulots disparaît dans un trou. Un tronc balafré de frayures témoigne de la présence de grands cervidés. Les lapins bondissent comme des jouets mécaniques dès qu’un intrus les surprend au gîte. Même si le désastre a métamorphosé son milieu naturel, le monde sauvage semble se moquer de l’impact des rayonnements ionisants, grignotant à toute allure le moindre espace laissé par l’homme, sans qu’aucune menace ni altération visible semble le freiner dans sa progression.

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Pourtant, de profondes modifications sont survenues dans leur habitat. Les forêts sont devenues des réservoirs de radioactivité dont 90 % se trouve dans la litière. Mousses, champignons et lichens, vivant dans les couches superficielles du sol où ils puisent leurs nutriments, présentent de fortes concentrations de radionucléides. Certains champignons peuvent atteindre le million de becquerels (100.000 Bq par kilo = 1000 fois la limite autorisée). Les arbres, quant à eux, se sont mal adaptés aux radiations. Les conifères, beaucoup plus sensibles que les feuillus, sont morts ou ont muté, remplacés par les bouleaux. L’espèce pionnière, résistante à tout, a supplanté pins, vergers, hêtraies. Cela pourrait s’expliquer par les différences de taille des génomes : plus petits chez les bouleaux, ils sont moins vulnérables aux rayonnements.

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Les espèces végétales les plus résistantes ont recolonisé les espaces appauvris et stériles, redessinant la forêt originelle et usurpant l’identité de ses occupants.

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A la caserne des pompiers de Tchernobyl, quelques animaux sauvages sont exhibés dans des cages comme dans un zoo miniature. Apeuré, un goupil brun-roux à la queue en panache creuse son fossé le long du grillage. Plus loin, un énorme sanglier, les jarres roides de boue, glisse son imposant groin dans un orifice de l’enclos, histoire d’apprécier la valeur de ses hôtes. Sacha, un géant de 2 mètres au crâne rasé raconte sa plus belle capture. Il y a un an, il a ramené un louveteau que ses chiens avaient acculé au fond de la lovière. A peine sevré, l’animal s’en est retourné à la vie sauvage. Depuis, Viy (son surnom) vient fréquemment rôder autour des baraquements, alléché par l’odeur des poubelles et de la volaille.

Les meutes de loups prospèrent dans la zone interdite. De plus en plus d’attaques de personnes leur sont attribuées. Pour juguler les populations, une soixantaine de chasses sont organisées chaque année. Un «sport» réservé aux chasseurs fortunés amateurs de sensations fortes.
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Le loup: un beau spécimen à la toison d’or regarde fixement de ses yeux fendus, truffe à l’évent, oreilles aux écoutes. Tenter une approche, et la bête se pétrifie. Le jeune mâle hume l’air avec le sérieux de ceux qui savent ce qu’il en coûte d’être imprudent en terrain découvert. Plus tard, on l’entend japper sur un ton excité avant de disparaître à la vitesse de la lumière. Les vieux revenus vivre dans les villages désaffectés racontent que, la nuit, les meutes unissent leurs hurlements, poussant graduellement leur cri jusqu’à l’aigu.

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Une poignée de vieillards sont revenus vivre à Tchernobyl.

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Pour atteindre les datchas où vivent la poignée de vieillards réfractaires à l’expulsion (une cinquantaine en tout), il faut se frayer un chemin envahi d’une végétation résolument agressive, formant, par endroit, un rideau végétal quasi infranchissable. Les hameaux déserts se succèdent. Certains se résument à un dortoir de lits métalliques, seul matériau à avoir résisté au dernier quart de siècle. D’autres disparaissent sous une section d’assaut de plantes sarmenteuses pendant en longs festons sur les façades de bois. Bien que le froid soit sévère, à 84 ans, Sava Obrazhai est en bras de chemise, casquette éculée vrillée au crâne, la main gauche tatouée une première fois d’une faucille et d’un marteau, grossièrement transformés en cœur percé d’une flèche. D’un ton comminatoire, il explique comment, après chaque expulsion, il est revenu vivre chez lui, sur sa terre : «Avec ma femme, on a escaladé le mur de la zone interdite et on s’est cachés dans la forêt, en faisant un grand détour pour arriver jusqu’ici.» Vivant en totale autarcie, Sava et Helena tiennent à mourir en paix là où ils sont nés. De la volaille encagée caquette. Une belle dinde glousse de plaisir. Le tout sera mangé par les propriétaires au mépris de l’interdiction de consommer toute viande contaminée.

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Griva Victor Andreïevitch est vétérinaire. L’homme, court sur pattes, le teint rougeaud, travaille depuis douze ans sur la zone. Deux fois l’an, c’est en hélicoptère qu’il s’astreint à une campagne de vaccination sur les animaux d’élevage. Etrange paradoxe que de les protéger de la fièvre aphteuse ou de maladies respiratoires quand ils portent un mal plus profond. Comme tous les habitants de la région, Griva est convaincu que les animaux résistent bien mieux à la radioactivité que l’homme. Pour preuve:

«Ici, toutes les femmes de mon village ont des malformations gynécologiques et la majorité d’entre elles n’auront jamais d’enfants alors que la cigogne qui niche au sommet de ce poteau électrique revient tous les ans, en pleine santé. Il suffit de l’observer, regardez comme elle est belle!»

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Deux cent quatre-vingts espèces d’oiseaux ont pu être recensées dans la zone. Ici, comme ailleurs, les hirondelles font le printemps. Mais ces oiseaux migrateurs, qui ne passent guère plus de la moitié de l’année à Tchernobyl, changeant d’environnement en fonction des saisons, souffrent de pathologies et d’atteintes génétiques. Les ornithologues Moller (CNRS, université de Paris-Sud) et Mousseau (Université de South Carolina, Colum bia, Etats-Unis) y ont longuement étudié les hirondelles de cheminée. Une popula tion qui présente des tumeurs au niveau des ailes, des yeux, des pattes, ou des cas d’albinisme partiel. Entre autres. Une hypothèse, fréquemment avancée, affirme que les variations brutales de radioactivité seraient néfastes à la vie. Reste à savoir si cette espèce est l’exception et non la règle?

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En revanche, on sait qu’il faudra deux siècles avant que le césium et le strontium ne présentent plus aucun danger. Quant au plutonium, 240.000 années seront indispensables pour que ses dernières traces disparaissent de la surface du globe. En attendant, faune et flore brossent un tableau naturaliste que vantent désormais les dépliants touristiques.

Tombe atomique, l'idéal soviétique n'est plus que ruines. (Cédric Faimali)
Tombe atomique, l’idéal soviétique n’est plus que ruines.

«Saisissez l’opportunité de visiter Tchernobyl, d’approcher le réacteur n°4 et de voir Pripiat, la ville fantôme où la vie s’est arrêtée en une journée! L’occasion unique de revivre la plus grande catastrophe technique du XXe siècle lors d’une journée inoubliable.» Les Moscovites en sont friands. Des autobus déversent 8000 curieux par an, venus sillonner les rues désertes de Pripiat, talons hauts pour certaines, bouteilles de vodka pour d’autres. On se chahute en posant devant le sarcophage (où sommeillent encore 190 tonnes de combustible) en famille, entre amis quand ce ne sont pas de jeunes mariés s’offrant, lors de leur voyage de noces et pour une centaine d’euros, le grand frisson.

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A quelques centaines de mètres de ces bipèdes intrusifs, une vie grouillante et quadrupède quitte terrier, gîte, hutte, cache et tanière afin de se nourrir, à l’heure où une partie de la forêt s’apprête à dévorer l’autre. Le soleil décline sur Tchernobyl. Il faut impérativement avoir passé le dernier check-point avant 20 heures. Avant que la zone d’exclusion, vidée des hommes, ne redevienne le royaume des animaux.

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Tchernobyl a transformé certains sols du Mercantour en «déchets radioactifs»

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Après trois décennies, les sols des Alpes portent encore les stigmates radioactifs de l’explosion du réacteur numéro 4 de la centrale soviétique, avec des taux par endroit similaires à ceux des rejets de l’industrie nucléaire.

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Des parcelles de sol aussi radioactives que des déchets nucléaires. De quoi prouver qu’en dépit des mensonges officiels de l’époque, le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté à la frontière de l’Hexagone. Pire, vingt-neuf ans après ce sinistre 26 avril 1986, des particules de césium 137, un isotope radioactif, contaminent encore massivement les sols de la région du Mercantour, dans les Alpes-Maritimes. Une étude menée les 5 et 6 juillet dernier par la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) démontre que, localement, les taux de radioactivité dépassent les 100.000 Becquerels par kilogramme (Bq/kg) de matière solide. De quoi les placer dans la catégorie «déchets nucléaires de faible activité», selon le barème Euratom de 1996.

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La CRIIRAD avait démontré, par des campagnes de mesures menées entre 1996 et 1998, la présence, dans l’arc alpin – de la France à l’Autriche en passant par la Suisse et l’Italie -, d’une forte contamination des sols au césium 137 à des altitudes supérieur à 2000 mètres. Ce radio-isotope est toujours présent actuellement avec, pour les points les plus contaminés, des mesures supérieures à 10.000 voire 100.000 Bq/kg. Or, comme l’explique Bruno Chareyron, chercheur pour la CRIIRAD depuis vingt-deux ans

«à partir de 10.000 Bq/kg, l’élément est considéré comme déchet radioactif. À partir de 100.000 Bq/kg, il passe dans la classe (de toxicité, NDLR) supérieure».

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«Un phénomène spécifique au milieu alpin»

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Si ces taux sont particulièrement alarmants et illustrent l’impact désastreux d’un accident nucléaire, il faut préciser que les zones gravement contaminées sont très localisées. L’étude du CRIIRAD s’est concentrée sur une toute petite parcelle du Mercantour, où des carottages avaient déjà été réalisés par le passé.

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Un phénomène particulier aux zones montagnardes a contribué à accroître la radioactivité des sols de la zone. En 1986, alors que le nuage radioactif de Tchernobyl survole l’Europe, ces régions de l’arc alpin étaient enneigées. Les retombées de césium 137 se sont alors fixées sur les neiges dont l’eau a propagé le radio-isotope lors de leur fonte printanière. «L’eau des neiges ayant reçu du césium a circulé et contaminé des endroits bien particuliers», raconte Bruno Chareyron.

«Ces points ont reçu une accumulation d’éléments radioactifs, initialement répartis sur une grande surface»

poursuit-il. D’où une concentration très forte.

«Ce phénomène est spécifique à la montagne et se retrouve en Autriche par exemple»

confie le scientifique.

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Ces mesures de l’accumulation de la radioactivité dans les sols ne doivent pas être confondues avec celle des taux de retombée moyens. Ainsi, ces chiffres inquiétants ne sont pas représentatifs de tout le territoire français touché par le nuage radioactif.

«Dans cette zone – une bande à l’est du territoire qui va de la Corse au sud à l’Alsace au nord, les sols sont très différents, la pluviométrie au moment de la catastrophe aussi»

détaille Bruno Chareyron. Par conséquent, les taux présents dans les sols varient

«de quelques dizaines de Becquerels par kilogramme à plusieurs milliers ou dizaines de milliers, voire dépassent les 100.000 sur ces points d’accumulations».

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Aucune signalisation, aucun balisage.

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«Il suffit de bivouaquer deux ou trois heures pour être touché»

avertit le chercheur, rappelant qu’en matière de radioactivité

«il n’y a pas de seuil d’innocuité». «Un seul rayonnement peut être à la base du processus complexe d’apparition d’un cancer des années plus tard. Le risque est faible mais jamais inexistant»

s’inquiète Bruno Chareyron. Aussi plaide-t-il pour

«surveiller les points les plus atteints ou au moins les signaler par un balisage».

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La moindre des choses au vu de la passivité des autorités françaises il y a 30 ans. Bruno Chareyon invoque «un devoir de mémoire» et rappelle, qu’à l’époque, d’autres éléments radioactifs comme l’iode 131 ont engendré des maladies de la glande thyroïde chez des habitants de l’Alsace ou de la Corse.

«Il faut rappeler ce mensonge de 1986 ainsi que le grave défaut de protection des populations, martèle-t-il, la France est un des seuls pays à ne pas avoir pris de mesures sanitaires.»

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Ironie de l’histoire, les échantillons que la CRIIRAD a prélevés dans les sols devront être traités et seront ainsi transférés à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Ce n’est donc qu’une fois sortie de terre que ces sols deviennent officiellement des déchets nucléaires.

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Bon comme un citron bien rond !

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