Les nuages ont beau s’amonceler sur la relation russo-turque, Moscou ne coupera pas le robinet du gaz à Ankara.
Quelques heures après que le chasseur russe Su-24, abattu par deux F-16 de l’armée turque, s’est écrasé dans le nord-ouest de la Syrie, mardi 24 novembre, la Russie a confirmé que les contrats seraient respectés.
« Il ne pouvait en être autrement », a rassuré Anatoli Ianovski, le vice-ministre russe de l’énergie, cité par l’agence ITAR-TASS.
Gazprom, qui a cessé ses livraisons de gaz à l’Ukraine pour cause d’impayés, ne peut se permettre le luxed’une interruption supplémentaire de ses approvisionnements, à plus forte raison envers la Turquie, son deuxième plus gros client après l’Allemagne – 60 % du gaz consommé par les foyers turcs vient de Russie.
Côté turc, le dossier énergétique est désormais entre de très bonnes mains, celles du jeune ministre de l’énergie, Berat Albayrak, 37 ans, tout juste nommé au sein du nouveau gouvernement, le 24 novembre. Bien qu’inexpérimenté, le ministre aura à charge de mener toutes les discussions avec la partie russe.
La tâche s’annonce ardue mais M. Albayrak dispose d’un atout majeur : il jouit de toute la confiance du président Erdogan, son beau-père.
Marié depuis 2004 à Esra Erdogan, la fille aînée du président, Berat Albayrak est sorti du bois au moment de son élection en tant que député de la circonscription d’Istanbul, lors des législatives du 1er novembre.
Alliance gazière et nucléaire
Le dossier énergétique est réputé aussi juteux que difficile. Il y a un an environ, le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, semblaient les meilleurs amis du monde. D’une poignée de main cordiale, les deux hommes avaient scellé, le 7 décembre 2014 à Ankara, une nouvelle alliance gazière autour du projet de construction d’un nouveau gazoduc, le Turkish Stream. Il s’agissait de dessiner une alternative au projet de gazoduc South Stream, dont l’abandon fut déclaré dans la foulée.
Cette nouvelle alliance se faisait sur le dos de l’Ukraine, traditionnelle voie de transit du gaz russe vers l’Europe. Elle sonnait aussi comme un camouflet infligé à l’Union européenne, et plus directement à la Commission européenne, qui à maintes reprises s’était élevée contre le monopole de Gazprom sur les tubes, le transport et la distribution.
Autre grand chantier énergétique : la construction à Mersin, dans le sud de la Turquie, par le consortium public Rosatom, de la première centrale nucléaire du pays, un projet à 19 milliards d’euros pour lesquels les Russes ont déjà déboursé 2,8 milliards.
« Si les Russes ne construisent pas Mersin, d’autres le feront », avait défié M. Erdogan, le 8 octobre, en marge d’une visite au Japon.
Quelques jours auparavant, des chasseurs bombardiers russes avaient pénétré dans l’espace aérien turc, ouvrant une crise sans précédent entre les deux Etats voisins de la mer Noire.
Les Kurdes prêts à la guerre contre Erdogan.

Dans la nuit humide, en haut d’une rue ruisselante de boue, un jeune homme monte la garde. Armé d’un fusil d’assaut, arborant un manteau militaire et un gilet de combat alourdi de chargeurs à trente coups et de grenades, il tient le point de contrôle qui barre l’une des entrées du quartier de Cudi, sur les hauteurs de Cizre, dans l’est de la Turquie.
Sous le drapeau rouge du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), adossé à une casemate aux épais murs de sacs de sable, où une mitrailleuse légère et un lance-roquettes sont entreposés dans des couvertures à fleurs, le jeune milicien inspecte chacune des automobiles qui se présente pour s’assurer de l’identité des occupants.
Si, sur les avenues du centre-ville tout proche, les véhicules blindés des forces de sécurité turques patrouillent sans discontinuer, les rues de Cudi appartiennent aux combattants kurdes.
A la veille des élections législatives anticipées turques, qui ont lieu dimanche 1er novembre, règne dans cette partie de la ville une atmosphère d’avant-guerre.
Cinq mois après les élections du 7 juin, marquées par la percée du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche, prokurde) et par l’affaiblissement du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), au pouvoir depuis treize ans, le retour aux urnes, consécutif de l’échec des tentatives de formation d’un gouvernement de coalition, intervient dans une Turquie au bord du chaos. Avec l’éclatement du processus de paix lancé en 2013 entre Ankara et PKK, et la reprise des hostilités fin juillet, s’est installé…