Après plusieurs incidents, les centrales du pays essuient de fortes critiques des pays voisins, d’associations et d’agglomérations frontalières.
La mine inquiète, ils sont nombreux à défiler au chevet du nucléaire belge. Lundi, la ministre allemande de l’Environnement, Barbara Hendricks, est venue sonner les cloches du ministre de l’Intérieur belge, Jan Jambon. Avant elle, au mois de janvier, ses homologues du Luxembourg puis des Pays-Bas ont exprimé leur inquiétude face à la sécurité nucléaire belge, et les craintes des populations frontalières. Outre ces visites diplomatiques, de nombreux recours en justice et pétitions sont lancés ces derniers jours par des associations écologistes, des collectifs citoyens et par des agglomérations voisines des centrales, pour tenter de stopper certains réacteurs et donner lieu à de nouvelles expertises.
A quoi ressemble le parc nucléaire belge ?
Environ 55 % de l’électricité belge provient du nucléaire. Le pays dispose de deux centrales : celle de Doel, dans le nord, tout près de la frontière néerlandaise, qui compte quatre réacteurs. Et celle de Tihange, dans l’Est, non loin de l’Allemagne et du Luxembourg, qui en compte trois. Tous ces réacteurs ont été construits au cours des années 70 et mis en service entre 1975 et 1985. Les centrales sont exploitées par deux entreprises françaises : EDF possède 50 % de Tihange 1, et Engie (ex-GDF Suez) tout le reste, via sa filiale belge Electrabel qu’elle détient à 100 %.
Les problématiques sont différentes selon les réacteurs : deux ont atteint leur limite d’âge (Doel 1 et 2), et deux autres ont dû être arrêtés pendant près de deux ans (Doel 3 et Tihange 2) après la découverte de milliers de fissures dans la paroi de leurs cuves en 2012. L’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), le gendarme belge du nucléaire, a donné son feu vert pour leur redémarrage cet automne, après une batterie de tests et d’expertises.
Dans un communiqué, l’agence concluait «qu’Electrabel a[vait] pu démontrer de manière convaincante que les microbulles d’hydrogène présentes dans les parois des cuves n’avaient pas d’impact inacceptable sur la sûreté des réacteurs».
Mais dès leur remise en route fin décembre, les centrales ont connu une série d’incidents : fuite d’eau dans un générateur, problème d’alternateur, incendie, pannes… Des incidents qui ont affecté les parties non nucléaires des réacteurs, insistent Electrabel et l’AFCN, et qui se sont produits lors des phases «sensibles» de redémarrage après des arrêts de longue durée. «C’est le régulateur belge, l’AFCN, qui est compétent pour garantir la sécurité des sites», dit-on chez Engie.«L’AFCN a consulté de nombreux experts et scientifiques internationaux avant d’autoriser le redémarrage», complète-t-on chez Electrabel.
Doel 3 et Tihange 2 : les voisins inquiets par les fissures
Ces redémarrages laborieux ont entraîné de vives critiques des pays voisins. Doel est situé à quelques kilomètres de la frontière néerlandaise. Tihange, à 40 km de la ville néerlandaise de Maastricht et 60 kilomètres de l’allemande Aix-la-Chapelle. Ces deux agglomérations sont en train de préparer une plainte devant le Conseil d’Etat belge, et une autre devant une juridiction bruxelloise pour demander l’arrêt de Tihange. Idem pour l’association Nucléaire Stop, ainsi qu’un groupe de citoyens belges.
En décembre, la ministre allemande de l’Environnement, Barbara Hendricks, évoquait un «rafistolage» pour qualifier la gestion d’Electrabel. Début janvier, le ministre de l’Environnement du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie parlait d’un réacteur de Tihange 2«tombant en ruine», et estimait que le gouvernement belge jouait à «la roulette russe». Le secrétaire d’Etat luxembourgeois au Développement durable, Camille Gira, avait, lui, fait état de ses «préoccupations sur les déficiences constatées dans la centrale nucléaire de Tihange». Sa visite mi-janvier au ministre de l’Intérieur belge, Jan Jambon, n’y a d’ailleurs rien changé : «Nous ne sommes pas rassurés parce que nous n’avons pas reçu de réponse à toutes nos questions», avait ensuite déclaré l’un de ses conseillers.
Camille Gira est «membre du parti écologiste, rétorque Anne-Laure Mouligneaux, la porte-parole du ministère de l’Intérieur belge. On peut donner toutes les assurances du monde, il y a une dimension idéologique qui reste.»
La ministre néerlandaise de l’Environnement, Melanie Schultz, a elle aussi pu visiter les infrastructures nucléaires. «Les incidents [après la relance en décembre, ndlr] n’ont pas causé de risques pour le site nucléaire, avait-elle affirmé lors d’une conférence de presse. Ce n’est donc pas un incident nucléaire, mais peut-être que demain il y en aura un. Ces inquiétudes sont graves et c’est la raison pour laquelle nous sommes ici, pour être le plus transparents possibles», a expliqué la ministre néerlandaise, ajoutant que «ce que les experts me disent me donne la certitude, à l’heure actuelle, que la centrale de Doel est sûre».
Lundi, son homologue allemande s’est également dite «rassurée pour l’instant. Nous allons voir». La Belgique et l’Allemagne vont organiser des inspections croisées dans les centrales nucléaires des deux pays,«comme avec la France», précise la porte-parole du ministère de l’Intérieur. Un «groupe de travail» a été mis en place pour «partager les informations, les bonnes pratiques…», détaille-t-elle. Dans un communiqué, Greenpeace ironise sur la «mise sous curatelle allemande» des centrales nucléaires belges…
Le ministre de l’Intérieur, garant de la sécurité nucléaire, «s’est toujours caché derrière les décisions de l’AFCN», regrette le député écologiste belge Jean-Marc Nollet. «Si l’AFCN a donné son feu vert, c’est qu’elle n’avait aucun doute : la relance d’une centrale n’est jamais une décision politique», répond la porte-parole du ministère. Mais pour le député écologiste, «certaines fissures peuvent atteindre 18 centimètres : le problème de sécurité est réel.» Un rapport commandé par le groupe écolo au parlement belge conclut que «l’autorisation de redémarrage des deux réacteurs est incompréhensible».
Une pétition «pour éviter un nouveau Tchernobyl», lancée jeudi sur la plate-forme Avaaz, a recueilli pour l’instant plus de 827 000 signatures. Elle appelle les responsables politiques belges, et leurs voisins européens, à «procéder immédiatement à une nouvelle évaluation de l’impact environnemental transfrontalier» des réacteurs de Doel et Tihange.
La centrale de Doel, en janvier.
Doel 1 et 2 : la prolongation sans consultation
Deux autres réacteurs, Doel 1 et 2, posent question. Les centrales nucléaires belges ont une espérance de vie de quarante ans. En 2003, les écolos alors au gouvernement parviennent à faire passer une loi de sortie du nucléaire. Doel 1 et 2, atteints par la limite d’âge, doivent s’arrêter courant 2015. Jusqu’à une loi «votée à la hussarde» en juillet dernier, raconte le député vert Jean-Marc Nollet, qui prolonge finalement l’existence des centrales de dix ans. Sans consultation publique, ni étude d’impact environnemental, comme l’obligent normalement lesconventions internationales d’Espoo et d’Aarhus dans les contextes transfrontaliers.
C’est sur ces motifs que deux associations de défense de l’environnement, Bond Beter Leefmilieu (BBL) et Inter-Environnement Wallonie (IEW), ont introduit début janvier, devant la Cour constitutionnelle, un recours en annulation de la loi qui prévoit de prolonger ces réacteurs nucléaires. Le recours devrait prendre une année.
«Ce sont deux conventions internationales qui ont été foulées au pied, insiste Christophe Schoune, le secrétaire général d’IEW. L’AFCN et le gouvernement ont perdu tout crédit aux yeux des environnementalistes,ajoute-t-il. Prolonger une centrale au-delà de quarante ans relève d’une expérimentation à grande échelle. Ce n’est franchement pas rassurant.»
D’autant qu’une étude de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (CREG) menée pendant l’hiver 2014-2015 «avait montré que l’approvisionnement électrique du pays n’était pas menacé par l’arrêt de ces deux réacteurs, précise Schoune. C’est tout le blocage de la transition énergétique qu’on voit ici. L’argent qui sera investi pour la sécurisation et la mise aux normes de ces centrales n’ira, bien sûr, pas dans le développement des énergies renouvelables. Sans parler de la question du risque et de la sécurité nucléaire.»
Mi-janvier, quelques jours après le redémarrage des centrales incriminées, l’AFCN a préconisé une mesure inédite : les autorités devront distribuer à l’ensemble de la population belge des comprimés d’iode à ingérer en cas de fuite radioactive. On n’est jamais trop prudent.
raimanet
A reblogué ceci sur Boycott.
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