L’armée russe a affirmé ce jeudi avoir «des raisons sérieuses» de croire que la Turquie prépare une «intervention militaire» en Syrie voisine, invoquant l’interdiction la veille par Ankara du survol de son territoire par un avion de reconnaissance russe.
«Nous avons de sérieuses raisons de soupçonner une préparation intensive de la Turquie pour une intervention militaire sur le territoire d’un État souverain : la Syrie», a indiqué dans un communiqué le porte-parole du ministère russe de la Défense, le général Igor Konachenkov. L’armée russe «enregistre un nombre croissant de signes d’une préparation secrète des forces armées turques afin de mener des opérations sur le territoire syrien», affirme le général. «Si quelqu’un à Ankara pense que l’interdiction d’un vol de reconnaissance russe permettra de cacher quoi que ce soit, il n’est pas professionnel», a-t-il poursuivi.
Le ministère turc des Affaires étrangères s’est pour sa part refusé à tout commentaire face aux accusations russes. Les autorités turques avaient toutefois un peu plus tôt confirmé l’interdiction pour «raisons de sécurité» d’un vol russe de reconnaissance prévu du 1er au 5 février dans le cadre du traité «Ciel ouvert» dont les deux pays sont signataires. Ce traité prévoit des survols pour contrôler les installations militaires et d’armements, afin d’entretenir la confiance mutuelle.
«Une tentative de dissimuler des activités militaires illégales»
Selon le général Konachenkov, les Russes devaient notamment survoler des zones frontalières avec la Syrie, ainsi que des aérodromes où sont concentrés des avions de l’Otan. «Le ministère russe de la Défense voit ces actes de la Turquie comme un précédent dangereux et une tentative de dissimuler des activités militaires illégales près de la frontière syrienne», a poursuivi le porte-parole militaire. «De telles décisions prises par un pays membre de l’Otan ne contribuent aucunement au renforcement de la sécurité et de la confiance en Europe», a-t-il ajouté, affirmant que cet incident ne resterait pas «sans réponse».
Le général a en outre de nouveau affirmé avoir des «preuves irréfutables» de tirs d’artillerie turcs sur des localités syriennes inhabitées proches de la frontière, au nord de la province de Lattaquié. Il a également accusé Ankara d’armer via sa frontière, sous couvert de «convois humanitaires», les groupes combattant dans les régions syriennes d’Alep et d’Idleb.
La tension monte d’un cran dans la région alors que les troupes du régime syrien menacent désormais d’assiéger totalement les quartiers rebelles à Alep, deuxième ville du pays, après avoir réussi à couper leur principale route d’approvisionnement. Cette avancée est la plus importante depuis le début des combats à Alep en 2012 et représente aussi la principale victoire du régime de Bachar al-Assad depuis que la Russie a lancé sa campagne aérienne en Syrie en septembre. Les insurgés sont notamment des islamistes et des combattants du Front Al-Nosra (branche d’Al-Qaïda en Syrie). «A moins qu’ils ne reçoivent une aide urgente des pays du Golfe et de la Turquie, cela pourrait marquer le début de la fin pour eux», remarquait Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Des milliers de Syriens fuient l’offensive du régime près d’Alep.
Damas – Des dizaines de milliers de civils ont pris la fuite dans le nord de la Syrie où le régime, appuyé par l’aviation russe, a intensifié jeudi son offensive visant à assiéger la partie de la ville d’Alep aux mains des rebelles.
« 60 à 70.000 personnes » pourraient se réfugier en Turquie après avoir fui l’offensive du régime, a averti le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, dont le gouvernement est opposé au régime de Bachar al-Assad.
Il s’exprimait lors d’une conférence de pays donateurs organisée à Londres qui a réuni plus de 10 milliards de dollars pour aider les populations affectées par le conflit, selon le Premier ministre britannique David Cameron.
Parallèlement, les fragiles espoirs d’une esquisse d’une solution politique ont été de nouveau douchés avec la suspension annoncée mercredi des pourparlers supervisés par l’ONU entre pouvoir et opposition à Genève.
Au contraire, le ton est monté, plusieurs pays occidentaux accusant Damas et son allié russe d’être responsables de la déconvenue de Genève.
Les avions russes ont bombardé 875 « cibles terroristes » lors des « trois derniers jours », notamment dans la région d’Alep, selon Moscou.
Le début de la fin.
Les frappes russes de jeudi –130 selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH)– ont fait au moins 21 morts parmi les civils, dont trois enfants, dans des quartiers rebelles d’Alep, a indiqué cette ONG.
L’ancienne capitale économique du pays est depuis 2012 une place forte des rebelles qui en contrôle l’est tandis que les quartiers ouest sont aux mains du régime.
Les rebelles se trouvent désormais dans une situation extrêmement difficile, les forces progouvernementales ayant réussi à couper leur principale route d’approvisionnement jusqu’à la Turquie.
Si l’armée avance davantage vers Alep, « le siège sera total », selon Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH. « A moins qu’ils ne reçoivent une aide urgente des pays du Golfe et de la Turquie, cela pourrait marquer le début de la fin pour eux ».
L’offensive lancée lundi par l’armée a poussé près de 40.000 civils de la région à fuir leurs foyers, selon l’OSDH. Des milliers d’entre eux se trouvent sans abri dans le nord de la Syrie, notamment près de la frontière avec la Turquie.
S’alarmant du nombre de réfugiés se dirigeant vers la Turquie, M. Davutoglu a accusé « les complices de Bachar al-Assad » d’être tout autant coupables de « crimes de guerre », en référence à Moscou.
L’armée russe a de son côté affirmé avoir « de sérieuses raisons » de croire qu’Ankara préparait une « intervention militaire » en Syrie. Elle a cité l’accumulation à la frontière d’hommes et de matériel et l’interdiction par Ankara du survol de son territoire par un avion de reconnaissance russe.
Fermer la frontière.
« Les prochains objectifs sont de fermer la frontière avec la Turquie pour empêcher l’arrivée de troupes et d’armes (aux rebelles, ndlr) », a déclaré pour sa part à l’AFP un haut responsable syrien.
Pour Maamoun al-Khatib, un militant du nord d’Alep, « la situation dans la région d’Alep est catastrophique pour les civils, notamment dans les localités de Tell Refaat, Azaz et Marea assiégées de trois côtés. Il ne leur reste qu’une seule route pour aller en turquie ».
« 300.000 personnes vivant dans ces régions sont menacés alors que l’aviation russe lance des raids intenses » depuis plusieurs jours, a-t-il ajouté via internet.
Le Conseil de sécurité de l’ONU tiendra vendredi des consultations avec le médiateur de l’ONU en Syrie Staffan de Mistura qui devra expliquer pourquoi il a décidé une « pause » jusqu’au 25 février des discussions à Genève.
Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a affirmé que « l’offensive brutale » lancée par le régime à Alep « avec le soutien de la Russie torpille les négociations ».
Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a rappelé lors d’une discussion « musclée » avec son homologue russe Sergueï Lavrov, qu’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelait à un cessez-le-feu immédiat pour permettre l’acheminement de l’aide aux villes assiégées.
Signe que la paix n’est pas à l’ordre du jour pour ce conflit impliquant plusieurs puissances étrangères, un général saoudien a indiqué que l’Arabie saoudite serait prête à se joindre à toute opération terrestre en Syrie si la coalition antijihadistes menée par Washington dont elle fait partie prenait une telle décision.