Les ministres arabes des Affaires étrangères réunis vendredi au siège de la Ligue arabe au Caire ont classé groupe « terroriste » le mouvement libanais chiite Hezbollah, a annoncé un diplomate du Bahreïn.
Le Liban et l’Irak ont émis « des réserves ».
Début mars, les six monarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG) —Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn, Koweït, Emirats arabes unis et Oman–, toutes membres de la Ligue arabe, avaient pris une décision similaire.
Les tensions sont vives entre l’Arabie saoudite sunnite et le Hezbollah. Ce poids lourd du gouvernement libanais est accusé de servir de tête de pont à l’Iran chiite, puissance régionale engagée dans des luttes d’influences avec Ryad.
« La résolution du conseil (des ministres des Affaires étrangères) de la Ligue comprend la désignation du Hezbollah comme groupe terroriste », a indiqué Wahid Moubarak Sayar, un haut responsable du ministère des Affaires étrangères du Bahreïn. Le petit pays insulaire assure actuellement la présidence tournante du conseil.
Réunion sous tension.
Plus tôt dans la matinée, la délégation saoudienne s’était brièvement retirée des discussions en cours pour protester contre le discours du ministre irakien des Affaires étrangères Ibrahim al-Jaafari, qui refusait la qualification du Hezbollah de groupe « terroriste ».
Début janvier, le royaume de Bahreïn avait annoncé avoir « démantelé » une cellule « terroriste » liée aux Gardiens de la révolution iraniens et au Hezbollah. La cellule projetait « plusieurs attentats à l’explosif » selon le ministère de l’Intérieur de Bahreïn.
Le Hezbollah, ou parti de Dieu, a été créé par les Gardiens de la révolution iraniens dans les années 1980. Financé par Téhéran, il est le seul parti libanais à ne pas à avoir déposé les armes après la guerre civile (1975-1990).
Les Etats-Unis, le Canada et l’Australie considèrent également ce mouvement comme une organisation « terroriste ». Sa branche armée a été classée comme telle par l’Union européenne.
Qui veut la peau du Liban ?
Le Liban a l’habitude de vivre au-dessus du volcan. Lors de mon dernier voyage à Beyrouth, j’avais été surpris par l’atmosphère festive qui y régnait, alors que le pays semblait progressivement happé par le conflit dans la Syrie voisine. Un ami m’avait expliqué : « C’est justement parce que nous savons que tout peut s’arrêter d’un jour à l’autre que nous faisons la fête… » Philosophie imparable, surtout quand l’ampleur des problèmes vous échappe.
Une nouvelle fois, donc, le Liban risque de devenir le théâtre d’une crise par procuration, alors que le fragile et parfois étrange équilibre confessionnel et politique issu de la guerre civile tient vaille que vaille depuis plus d’un quart de siècle. Le coup est parti de l’Arabie saoudite, qui a choisi le Liban pour viser son grand rival régional, l’Iran, au risque de plonger le pays dans les affres de la division et peut-être de la guerre. Riyad, qui n’a toujours pas digéré l’accord sur le nucléaire ayant permis à Téhéran de retrouver une place centrale dans le jeu moyen-oriental, a lancé une offensive dans le monde arabe pour désigner le Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite libanais lié à l’Iran, comme « organisation terroriste ».
Le Liban a toutefois souhaité rester neutre au nom de son nécessaire équilibre avec un parti représenté au Parlement et littéralement intouchable, provoquant la colère de Riyad. L’Arabie saoudite a annulé le financement de près de 2,3 milliards d’euros d’armes françaises destinées à l’armée libanaise, et déconseillé à ses ressortissants de se rendre au Liban. Beyrouth redoute l’étape suivante que serait l’expulsion de plusieurs centaines de milliers de Libanais vivant et travaillant dans le Golfe.
La situation délicate de la France.
L’Arabie saoudite conteste le poids du Hezbollah dans la vie politique libanaise, qu’elle juge incompatible avec son rôle dans la guerre de Syrie, au côté de l’armée de Bachar al-Assad et de conseillers iraniens. Riyad a pourtant des amis (ou des « clients« ) au Liban, comme Saad Hariri, chef de file du Courant du Futur et fils de l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri qui avait fait sa fortune en Arabie saoudite. Mais Saad Hariri est engagé dans des tractations pour permettre de désigner – enfin ! – un président, et cela nécessite une entente avec le Hezbollah. Riyad lui a coupé les vivres, fragilisant fortement ses entreprises.
Le roi Salmane peut-il prendre le risque de précipiter le Liban dans la crise, accentuant la déstabilisation d’une région qui n’en a guère besoin (quelque deux millions de réfugiés syriens se trouvent au Liban) ? La haine de l’Iran peut-elle valoir ce prix ? Il ne faut pas sous-estimer la capacité des acteurs régionaux, sur lesquels les « parrains » traditionnels n’ont plus guère de prise, à s’engager dans de telles fuites en avant.
Cette situation met la France dans une position délicate : « protecteur » traditionnel du Liban, elle s’est progressivement alignée sur l’Arabie saoudite ces dernières années. Vendredi 4 mars, en pleine pression de Riyad sur le Liban, le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Nayef, était reçu par François Hollande qui lui remettait la Légion d’honneur « pour ses efforts dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme » (oubliant le poids de l’idéologie wahhabite dans la montée de l’islam radical). Mais, surtout, Riyad annonçait que le contrat de 2,3 milliards d’euros avec l’industrie d’armement française serait bien honoré, non plus au profit de Beyrouth mais à celui de l’armée saoudienne… Il serait tragique que le Liban soit passé par pertes et profits.