Panama Papers : François Hollande promet des enquêtes.
Après la divulgation de documents sur des avoirs dans les paradis fiscaux, le président a salué les lanceurs d’alerte et la presse.
C’est un petit coin de paradis en Amérique centrale. Un paradis pour les touristes, mais aussi pour ceux qui souhaitent échapper à la fiscalité traditionnelle. Et depuis hier, c’est un enfer pour les 140 responsables politiques ou personnalités de premier plan présents sur un listing dévoilé par une centaine de journaux. Le président de la République François Hollande a réagi promettant des « enquêtes » fiscales et des « procédures judiciaires ». « Toutes les informations qui seront livrées donneront lieu à des enquêtes des services fiscaux et à des procédures judiciaires », a déclaré le chef de l’État lors d’une visite d’entreprise à Boulogne-Billancourt. Il a par ailleurs remercié les « lanceurs d’alerte et la presse » pour ces révélations qui vont, selon lui, permettre de nouvelles « rentrées fiscales ». « Ce que je peux vous assurer, c’est qu’à mesure que les informations seront connues, toutes les enquêtes seront diligentées, toutes les procédures seront instruites et les procès éventuellement auront lieu », a assuré François Hollande.
« Si je peux dire, c’est une bonne nouvelle que nous ayons connaissance de ces révélations parce que ça va nous faire encore des rentrées fiscales de la part de ceux qui ont fraudé », a affirmé le président, soulignant que « rien que pour l’année 2015, 20 milliards d’euros ont été notifiés à ceux qui avaient fraudé » et que sur ces 20 milliards, l’État avait « déjà repris 12 milliards d’euros ». « Donc, je remercie les lanceurs d’alerte, je remercie la presse qui s’est mobilisée et je ne doute pas que nos enquêteurs sont tout à fait prêts à étudier ces dossiers et ces cas pour le bien d’abord de ce qu’on peut penser être la morale, et aussi pour le bien de nos finances publiques », a-t-il poursuivi. « C’est grâce à un lanceur d’alerte que nous avons maintenant ces informations. Ces lanceurs d’alerte font un travail utile pour la communauté internationale, ils prennent des risques, ils doivent être protégés », a encore dit le chef de l’État.
Le plus grand coup contre les paradis fiscaux.
Le président argentin Mauricio Macri, qui a été membre du directoire d’une société offshore enregistrée au Bahamas, selon le quotidien argentin La Nación membre du consortium, n’a « jamais eu de participation au capital de cette société », a assuré dimanche le gouvernement argentin, précisant que Mauricio Macri avait seulement été
« directeur occasionnel » de cette société. « Je n’ai jamais caché d’avoirs », a de son côté affirmé le Premier ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, soupçonné d’avoir dissimulé des millions de dollars aux Iles vierges britanniques.
« Les documents montrent que les banques, les cabinets d’avocats et autres acteurs opérant dans les paradis fiscaux oublient souvent leur obligation légale de vérifier que leurs clients ne sont pas impliqués dans des entreprises criminelles », affirme l’ICIJ.
« Cette fuite sera probablement le plus grand coup jamais porté aux paradis fiscaux à cause de l’étendue des documents » recueillis, estime Gérard Rylé, le directeur de l’ICIJ cité par la BBC. « Ces révélations montrent à quel point des pratiques nocives et la criminalité sont profondément enracinées dans les places offshore », selon Gabriel Zucman, un économiste de l’université de Californie à Berkeley cité par le consortium basé à Washington.
Les révélations, qui couvrent une période de près de 40 ans allant de 1977 à 2005, mentionnent encore des affaires réalisées dans les paradis fiscaux par le père aujourd’hui décédé de l’actuel Premier ministre britannique David Cameron, ou par des fonctionnaires proches d’Hugo Chávez, l’ancien président vénézuélien, mort en 2013. Elles rappellent celles de « La plus grande fuite de l’histoire du journalisme vient de voir le jour, et elle concerne la corruption », a commenté de son côté Edward Snowden, principal lanceur d’alerte sur les activités du renseignement américain.
# Une ampleur de données jamais vue.
Les chiffres suffisent presque à caractériser l’importance de cette fuite. Les « Panama Papers », ce sont près de 11,5 millions de documents, piratés dans les archives d’un « champion du monde » de la création de : le cabinet panaméen Mossack Fonseca.
Le tableau esquissé à travers ces fichiers, qui remontent à la création du cabinet en 1977, est à peine croyable : plus de 214.000 entités « offshore » créées ou administrées par cette seule société sur 38 ans, dans 21 paradis fiscaux différents et pour des clients de plus de 200 pays. Et ces clients ne sont pas n’importe qui : 12 chefs d’Etat dont 6 en activité, 128 responsables politiques et hauts fonctionnaires de premier plan du monde entier, et 29 membres du classement Forbes des 500 personnes les plus riches de la planète.
Au total, plus de 2,6 téraoctets (2.600 Go) de données ont été sortis des placards de Mossack Fonseca, et épluchés par 370 journalistes de 107 médias du monde entier, qui ont travaillé pendant 9 mois pour en tirer des informations et les mettre en forme.
# D’où viennent les informations ?
Comme dans les affaires WikiLeaks ou UBS Leaks, ces révélations proviennent de l’initiative individuelle d’un lanceur d’alerte. Tout commence début 2015, lorsque des journalistes du quotidien allemand « Süddeutsche Zeitung » commencent à enquêter sur le rôle de Mossack Fonseca dans la fraude fiscale présumée de la Commerzbank, deuxième banque d’Allemagne.
C’est alors qu’ils entrent en contact avec cette source anonyme, dont la collaboration va dépasser toutes leurs espérances : grâce à un accès pirate au serveur de messagerie électronique du cabinet panaméen, l’individu commence à leur transmettre cette « mine d’or » au compte-goutte.
Face à cette masse de données dont l’authenticité ne fait plus de doute, la rédaction du quotidien munichois décide d’appeler à l’aide de l’ICIJ, le Consortium international du journalisme d’investigation, basé à Washington. « Le Citron » participe à ce gigantesque travail commun, aux côtés de médias indiens, suisses, russes, américains, brésiliens ou japonais.
« BALKANY, PLATINI, MESSI ».
# Quelles personnalités y figurent ?
Les révélations paraîtront en feuilleton tout au long de la semaine. Néanmoins, on sait d’ores et déjà que le président russe Vladimir Poutine, par le biais de son entourage, la famille al-Assad en Syrie ainsi que le Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson, font partie des chefs d’Etat éclaboussés par le scandale.
Le quotidien « Le Soir » cite également le Premier ministre du Pakistan Nawaz Sharif, le roi Salman d’Arabie saoudite, les enfants du président d’Azerbaïdjan, le président argentin Mauricio Macri, le président ukrainien Petro Porochenko, l’ancien Premier ministre irakien Ayad Allawi ou son homologue ukrainien Pavlo Lazarenko. Le sommet de l’Etat brésilien serait également concerné.
Le monde du football n’est pas en reste. Des sociétés offshore créées par les Français Michel Platini (ex-président de l’UEFA) et Jérôme Valcke, récemment suspendus de la Fifa, figurent dans les fichiers. Le footballeur argentin Lionel Messi est également cité pour l’affaire portant sur ses droits à l’image.
# Qu’apprend-on sur les techniques d’évasion fiscale ?
Le Panama est considéré internationalement comme une plaque tournante du blanchiment d’argent, et le cabinet Mossack Fonseca, implanté dans le petit pays d’Amérique centrale, s’est spécialisé dans la création de sociétés-écrans dans les paradis fiscaux qui permettent à leurs propriétaires de dissimuler leur identité grâce à des prête-noms. Toutes ces sociétés ne sont pas illégales : chez Mossack Fonseca, comme le résume « Le Citron », « l’argent propre côtoie l’argent sale, et l’argent gris, celui de la fraude fiscale, côtoie l’argent noir – celui de la corruption et du crime organisé ».
Ce brassage indifférencié et cynique explique qu’on retrouve aussi bien grandes fortunes, stars du football, chefs d’Etat corrompus et réseaux criminels parmi les clients de la compagnie. Tous n’ont pas le même niveau de dissimulation : les clients qui veulent se rendre complètement indétectables s’abritent derrière trois ou quatre sociétés imbriquées les unes dans les autres, créées si possible dans des paradis fiscaux différents.
Et les courriels des employés de Mossack Fonseca, consultés par « Le Citron », confirment que « les artisans de l’offshore parviennent toujours à conserver un coup d’avance sur les tentatives de régulation mondiale », écrit le quotidien. La multiplication des intermédiaires fournit un argument tout trouvé au cabinet, qui, mis en accusation, renvoie la responsabilité vers les quelque 14.000 opérateurs (banques mondiales, fiduciaires, gestionnaires de fortune) qui mettent ses clients en relation.
Dans un récent entretien accordé à la télévision panaméenne, le cofondateur du cabinet, Ramon Fonseca, comparait son entreprise à une « usine de voitures ». Un constructeur automobile doit-il répondre des forfaits commis par les criminels qui roulent dans ses voitures ?
Sauf que la comparaison a ses limites. Dans l’écrasante majorité des pays du monde, Mossack Fonseca a l’obligation de se renseigner sur les ayant-droit des sociétés qu’elle administre. Et à la lecture de ses correspondances internes, on s’aperçoit que « l’usine » connaît le plus souvent parfaitement l’identité des personnes à qui elle vend ses produits clés en main…