Qui est Gilles Bénichou, l’escroc lyonnais qui a fait tomber Michel Neyret ? Cette figure du milieu lyonnais, qui devait comparaître aux côtés de l’ex-star de la police, brille par son absence au procès. Portrait.

Sa chaise est obstinément vide. Mais à force d’en entendre parler, on croirait presque voir apparaître son visage à la Bruce Willis, crâne rasé et peau hâlée, sillonnée par les rides de la cinquantaine. « Gilles Bénichou semble absent parce que nous ne le voyons pas dans cette salle », a constaté l’un de ses avocats, Philippe Dehapiot, à l’ouverture du procès de Michel Neyret, lundi 2 mai. Drôle de formule pour souligner la bizarrerie de la situation : LE corrupteur présumé de l’ancien numéro 2 de la PJ lyonnaise, l’homme par qui le scandale est arrivé, a tout simplement fait faux bond à la justice. Au dernier moment. Sans prévenir ses conseils.
Le tribunal n’a pas émis de mandat d’amener pour contraindre Gilles Bénichou, remis en liberté sous contrôle judiciaire en juin 2012, à comparaître. Il aurait certainement fallu, pour cela, renvoyer le procès. Le prévenu serait toujours à Villeurbanne (Rhône), sa ville d’origine.
Il faut bien l’avouer : la nouvelle de son absence a provoqué une vague de déception sur les bancs de la presse. Les journalistes espéraient pouvoir comprendre la chute d’un grand flic en rencontrant à l’audience le voyou qui y a principalement œuvré. Gilles Bénichou n’est pas le seul escroc renvoyé devant le tribunal dans ce dossier (son cousin Stéphane Alzraa, en fuite, l’est aussi). Mais ce personnage haut en couleurs apparaît comme un maillon de la chaîne essentiel dans la dégringolade de l’ancien limier.
Une logorrhée compromettante
Dans cette affaire de corruption, les conversations téléphoniques de cet homme à la logorrhée stupéfiante sont centrales. Placé sur écoute dans le cadre d’un trafic de drogue international début 2011, Gilles Bénichou se vante auprès de son interlocuteur – impliqué dans ledit trafic – d’avoir »un joker » au sein de la police lyonnaise, qui « ne peut rien [lui] refuser ». Les enquêteurs identifient rapidement Michel Neyret.
A partir de là, l’Inspection générale des services (ex-IGPN), la police des polices, va avoir beaucoup d’éléments à se mettre sous la dent, tant Gilles Bénichou se montre bavard au téléphone, que ce soit avec son ami policier ou ses autres relations. Les bœufs-carottes découvrent avec effarement que Michel Neyret transmet des fiches de police à la demande de cette figure du milieu lyonnais, qu’il voit deux ou trois fois par semaine et qu’il a au téléphone tous les jours. La liste des interventions du gradé pour Gilles Bénichou s’allonge au fil de l’enquête et des conversations. Certaines sont avérées, d’autres sont fantasmées par l’aigrefin.
« Petit à petit, Gilles Bénichou va se positionner comme un intermédiaire incontournable, pour se faire valoir de tous les côtés », explique à francetv info, Richard Schittly, journaliste au Progrès et auteur d’un livre sur la chute de l’ex-star de l’antigang. Gilles Bénichou présente à Michel Neyret son cousin Stéphane Alzraa, un escroc de haut vol, spécialisé dans la fraude à la taxe carbone, que l’ancien policier dit avoir voulu approcher pour pénétrer « la mafia juive ». Au téléphone, Gilles Bénichou raconte à tort et à travers qu’il est « la personne la plus importante au monde pour Michel Neyret », qu’il va devenir le « parrain » de sa fille.
« Tu me l’as pourri, Michel »
En écoutant le président du tribunal lui rappeler ces propos, Michel Neyret semble tout juste réaliser les risques qu’il a pris en fréquentant de beaucoup trop près cet individu.
Monsieur Bénichou me fait souvent tenir des propos que je n’ai pas tenus. Il utilisait un peu trop souvent mon nom.
Pendant l’instruction, le commissaire l’avait reconnu : il ne considérait plus Gilles Bénichou comme un informateur mais comme « un ami ». « Un ami » avec lequel il s’affichait sans vergogne devant le tout Lyon, ignorant les règles de sécurité de base concernant les informateurs. Ignorait-il que ce « tonton » avait été radié de la liste des indics de la police en 2000 pour son manque de fiabilité ? Connaissait-il le passé judiciaire de cet affairiste, condamné neuf fois, entre 1996 et 2009, pour fraude fiscale, transport de fausse monnaie, extorsions, et séquestration ? En ce qui concerne Gilles Bénichou, l’ancien ponte de la police admet avoir fait preuve d’un certain « aveuglement », volontaire ou non. Le journaliste Richard Shittly dépeint entre les deux hommes une « relation très forte », « un lien d’amitié assez curieux », dont il est »compliqué d’analyser tous les ressorts ». Devant les enquêteurs, Michel Neyret dépeint un personnage attachant, aux « valeurs familiales fortes », avec lequel il parle de tout, de ses enfants, de la religion.
Et puis il y a l’argent. « Depuis que tu lui donnes du fric, c’est plus le même. Parce que monsieur il sort, monsieur il va dépenser (…). Il passe tout dans le champagne, dans ses soirées (…). Ne lui donne plus de monnaie, sinon il va au casino. Il va boire des canons et en paye aux nénettes. Tu me l’as pourri, Michel. (…) Maintenant, il est plus voyou que les autres. Mais arrêtez, arrêtez, il est obnubilé par le fric, le fric, le fric », lâche Nicole Neyret dans une conversation avec Gilles Bénichou. A l’audience, l’épouse, jugée au côté de son mari pour recel de corruption passive, a tenté de minimiser ses propos. Mais les faits sont là. Gilles Bénichou a couvert de cadeaux son bienfaiteur. Séjours dans des villas luxueuses au Maroc, sur la côte d’Azur et en Corse, montres Chopard et Cartier… L’addition s’élève à une « somme un peu inférieure à 30 000 euros », calcule le président. Une marque d’amitié, proportionnelle au niveau de vie de son « amigo », selon Michel Neyret. « Un investissement sur l’avenir », pour Gilles Bénichou.
« Commedia dell’arte »
Car l’escroc ne perd pas de vue son objectif : obtenir des renseignements de la part du policier, qu’il monnaye auprès de ses relations sulfureuses. « Je te vends la vérité », lance Gilles Bénichou à un homme en cavale. Curieuse inversion des rôles. Dans la relation policier-indic, « c’est l’informateur qui doit donner des renseignements, pas l’inverse », souligne au procès un ex-collègue de Michel Neyret. Un retournement de situation symbolisé par une photo, prise sur le tournage des Lyonnais. Michel Neyret, qui connaît bien le réalisateur Olivier Marchal, a obtenu un rôle de figurant pour son ami. Gilles Bénichou, comédien à ses heures, y interprète un gendarme. Pour parfaire son interprétation, il va jusqu’à passer les menottes au commissaire divisionnaire.
Seul le procès semble avoir décillé Michel Neyret sur le double-jeu de son ami. « Je pense que monsieur Benichou a été un grand manipulateur, même si j’ai du mal à l’admettre », souffle-t-il à la barre.
Aujourd’hui, je considère que c’est un ami qui m’a trahi.
Au fil des débats, l’ancien flic ne mâche plus ses mots à l’égard de l’écornifleur aux Ray Ban, décrit comme un « mythomane », un mégalomane à »l’esprit pervers », un « hâbleur qui connaît par cœur le milieu juif ». « Commedia dell’arte », résume pour sa part Nicole Neyret, qui affirme avoir été bernée par Gilles Benichou lorsqu’il l’a emmenée en Suisse pour ouvrir un compte pour elle et son mari (en réalité une société panaméenne dotée d’un compte à Dubaï). « C’est quelqu’un d’assez séduisant et intéressant mais avec tous les risques que ce genre de personnalité peut engendrer », analyse un ancien proche sous couvert d’anonymat. « Quand on se lie d’amitié avec un type comme ça, c’est comme une voiture de course. Si ça dérape, on se prend l’arbre », métaphorise-t-il, convoquant l’image de Michel Neyret au volant d’une Ferrari prêtée par le cousin de Gilles Bénichou, Stéphane Alzraa.
« Une faim de l’argent »
Au téléphone, Gilles Bénichou, qui se targue sur sa fiche d’acteur de s’être formé à l’Actors Studio à New York, se révèle être un vrai caméléon, capable de changer de registre à chaque interlocuteur. Dans son expertise psychologique et psychiatrique, les experts notent que cet »histrion » entretient une séduction réciproque dans ses relations affectives et sociales, tout en étant conscient de ses traits de personnalité manipulateurs. Son principal moteur, selon eux : une « faim de l’argent » née d’une enfance modeste auprès d’un père agent municipal et d’une mère au foyer, quand le reste de la famille était beaucoup plus aisé.

Pour Richard Schittly, ce commercial qui a abandonné ses études de droit après un bac G, a le « profil type de l’escroc, qui se doit de toujours être dans un rôle de composition ». Selon le journaliste, le risque était trop grand, en se présentant au procès, que le masque tombe. « Il y avait énormément de défense à faire valoir », juge au contraire son avocat, Philippe Dehapiot.
Michel Neyret a regretté son absence à plusieurs reprises. « Je souffre du fait que Gilles Benichou ne soit pas venu à cette barre pour expliquer ce relationnel qui nous a rapproché », a lâché le prévenu, comme une confidence. Dans cette relation nouée à deux, l’accusation estime que Michel Neyret a une responsabilité. Celle de s’être « laissé corrompre ».Il risque dix ans de prison pour cela. Gilles Bénichou encourt la même peine pour corruption active d’une personne dépositaire de l’autorité publique.
Michel Neyret et sa femme Nicole, un couple dans la tourmente face à la justice.
L’ex-numéro 2 de la PJ lyonnaise est jugé dans une affaire de corruption depuis le 2 mai. A ses côtés, sur le banc des prévenus, se trouve aussi sa femme.
Deux silhouettes minces et élégantes, vêtues de noir, se tiennent bien droit face à la barre. De profil, celle de Nicole Neyret se superpose à celle de son mari, Michel, qui la dépasse d’une tête. « Je regrette que ma femme, qui n’a rien à voir dans tout cela – ni mes collègues – se retrouve dans la tourmente », déclare-t-il. Pourtant, Nicole Neyret est bel et bien sur le banc des prévenus, à ses côtés. Elle est notamment jugée pour recel de corruption et recel de trafic d’influence passifs. Son mari, l’ancien numéro 2 de la PJ lyonnaise, est lui renvoyé pour corruption passive et trafic d’influence passif.
Voyages et montres de luxe
Lundi 9 mai, au quatrième jour du procès qui se tient devant le tribunal correctionnel de Paris, le couple est sommé de s’expliquer sur des supposés « cadeaux » reçus de la part d’indics, dont Gilles Benichou et Stéphane Alzraa, les deux grands absents de cette audience. Michel et Nicole Neyret sont interrogés sur des séjours dans des hôtels prestigieux et des montres de valeur, dont ils ont tous les deux bénéficié. « Je me suis amusé à faire un petit calcul… en gros en faisant l’addition… en divisant les voyages… j’arrive à une somme un peu inférieure à 30 000 euros », estime le président du tribunal.
Selon lui, il y a notamment « deux gros voyages au Maroc ». Les écoutes téléphoniques révèlent qu’un séjour à Marrakech, organisé début avril 2011, aurait été réglé par Yannick Dacheville. Ce dernier, aigrefin cité dans l’affaire de la fraude à la taxe carbone et condamné en 2014 pour trafic de stupéfiants, est toujours en fuite. Il parlait régulièrement par téléphone avec Gilles Benichou, qui évoquait le voyage à Marrakech comme « un investissement sur l’avenir ». Mais Michel Neyret n’a pas la même vision.
Pour moi, c’est Benichou qui m’avait invité, au nom de notre amitié et pour célébrer mon anniversaire et celui de ma femme.
« Pour moi, il m’emmenait en vacances »
Nicole Neyret est appelée à la barre. Elle déroule sa version : les invitations de la part de son mari étaient rares. Alors elle a sauté sur l’occasion. « Qui a payé ça, c’est pas mon problème, moi il m’emmenait en vacances », rétorque-t-elle d’une voix grave et rocailleuse, à la Macha Béranger. Une femme blessée, exaspérée par les sorties nocturnes et les infidélités de son mari, se dévoile.
J’étais une femme amoureuse trompée, je crois.
La sexagénaire blonde au brushing impeccable parle ensuite d’un séjour à Casablanca, où elle s’est rendue sur proposition des frères Benichou, sans son mari. « C’est moi qui ait demandé à y aller, insiste-t-elle. Comme ça Michel pouvait avoir ses maîtresses. Je suis la femme jalouse, chiante. » Assis derrière elle, les jambes croisées, sa main droite devant la bouche, Michel Neyret esquisse un sourire en coin.
Une confiance aveugle
« Nicole, dramatique, extravagante, ne fait pas dans la demi-mesure », souligne Richard Schittly dans sa biographie Comissaire Neyret, chute d’une star de l’antigang. « Paroles de femme meurtrie, trop exagérées pour être vraies ? » interroge-t-il. Car Nicole Neyret a du caractère, et le montre aussi à l’audience, lorsque le président du tribunal interroge Michel Neyret à propos d’une montre Chopart, évaluée à 4 500 euros.
L’ancien commissaire a reçu le bijou d’Albert Benichou, frère aîné de Gilles, escroc lui aussi et un temps indicateur de la police. Michel Neyret a ensuite offert cette montre à sa femme. Or, il dit avoir appris par la suite qu' »Albert a pris [la montre] dans le coffre de famille sans autorisation familiale ». « Quand j’ai su qu’elle était volée, je lui ai balancé la montre dessus. Je lui ai dit ‘je ne veux plus de cette montre' », s’anime Nicole Neyret.
Nicole Neyret est une femme qui veut être consolée. Gilles Benichou l’a compris. Il y a vu une faille, dans laquelle il s’est engouffré. Nicole Neyret reconnaît avoir fait aveuglement confiance à cet homme, figure du milieu lyonnais. « J’y suis allée à fond », dit-elle. Elle dodeline de la tête et se balance sur ses hauts talons.
J’ai dit à ma sœur : ‘Je te présenterai mon ami Benichou. Il est formidable, les autres sont des voyous.’
« J’étais anéantie, j’ai fait une tentative de suicide »
A tel point qu’elle accepte d’aller en Suisse avec lui pour créer une société et ouvrir un compte qui doit bénéficier à Nicole et Michel. Or, il s’agit d’une société panaméenne financée via le trading de charbon et dotée d’un compte à Dubaï qui, selon le dossier bancaire, était censée recevoir des commissions. A la procureure qui l’interroge sur le sujet, Nicole Neyret décrit son désespoir d’épouse et sa crédulité. « Personne ne vous a forcé à aller en Suisse… Vous ne saviez pas qui était Gilles Benichou ? » questionne-t-elle. « J’ai perdu 13 kg, j’ai fait une tentative de suicide… J’étais anéantie », répond l’épouse du super flic.
Pourtant, Nicole Neyret reproche à Gilles Benichou son comportement. « Gilles, depuis que tu lui donnes du fric, c’est plus le même. (…) Tu me l’as pourri, Michel. (…) Maintenant, il est plus voyou que les autres », avait-elle lâché lors d’une conversation téléphonique. « Je prêche le faux pour savoir le vrai », rétorque Nicole Neyret à l’audience. « Ah bon ?! » réagit le président du tribunal.
Nicole affirme aussi avoir suivi les conseils de Michel Neyret : « Je n’ai jamais fait confiance à mon mari en tant que mari, mais pour son travail, je le laissais. » « J’étais gâteuse à faire tout ce qu’il me disait. J’ai repris du poil de la bête depuis qu’il est allé en prison », ajoute-t-elle, en faisant rire la salle malgré elle.
« Je n’ai pas touché le moindre centime de ces gens-là »
Michel Neyret joue sur le même registre que sa femme. Il nie avoir connu l’objectif de la société et du compte en Suisse avant son arrestation. « Jamais j’aurais envoyé ma femme en Suisse pour toucher une commission », martèle-t-il.
Je ne suis pas un salaud, je n’aurais pas envoyé ma femme en Suisse pour la mettre en difficulté.
« Comment pouvez vous faire confiance [à Gilles Benichou] ? A un moment on a envie de poser cette question… Car vous n’êtes pas née de la dernière pluie, ajoute-t-elle en lui rappelant ses prestigieux titres, qui ont fait de lui une star de la police. Cette confiance semble un peu volontaire, cet aveuglement semble un peu délibéré, pas seulement d’une grande naïveté. » « Je n’ai jamais touché le moindre centime de ces gens-là », se défend Michel Neyret. Il risque jusqu’à dix ans de prison et un million d’euros d’amende.
Au tribunal, la solitude de Michel Neyret face à sa chute.
L’ancien numéro 2 de la PJ lyonnaise comparaît depuis trois jours devant le tribunal correctionnel de Paris pour corruption, trafic d’influence et de stupéfiants et violation du secret professionnel.

L’image en dit long. Michel Neyret est assis sur sa chaise, au bout du banc des prévenus, la tête penchée et appuyée sur une main. A la barre, trois de ses anciens collègues et coprévenus font bloc. Des dîners avec des informateurs ? « Jamais, pas même un café », dit l’un. Des informations fournies à des indics ? Et puis quoi encore ! « C’est l’informateur qui doit donner des renseignements, pas l’inverse », répond un autre.
Dans son procès, comme à la fin de sa carrière, Michel Neyret est seul. Jugé depuis trois jours devant le tribunal correctionnel de Paris pour corruption, violation du secret professionnel et trafic de stupéfiants, l’ancien numéro 2 de la police judiciaire lyonnaise, est confronté à un exercice délicat : commenter sa propre chute. Un exercice d’autant plus difficile à comprendre que ceux qui y ont œuvré ne sont pas là.
Gilles Bénichou et Stéphane Alzraa, escrocs de haut vol qui ont bénéficié des (nombreux) services de l’ex-flic, ont refusé de comparaître. Le premier, installé à Villeurbanne (Rhône), attend tranquillement que le procès se termine. Le second a profité d’une permission de sortie de prison pour se faire la malle et se cacherait en Israël.
« Informateurs » ou « amis »?
Lâché depuis longtemps par ces deux corrupteurs présumés, dont on ne sait plus s’il faut les appeler « informateurs » ou « amis », Michel Neyret doit faire face seul au dossier, à ses charges importantes, et aux questions incisives du président Olivier Géron. « Que de précautions et d’interventions au bénéfice de Stéphane Alzraa », a-t-il souligné mardi, après avoir examiné la liste des services rendus par l’ancien directeur adjoint de la PJ de Lyon au cousin de Gilles Bénichou, mais aussi à toute la galaxie d’individus gravitant autour des deux hommes. Parmi les faits reprochés on retrouve des consultations de fichiers de police, notamment Interpol, des sollicitations de collègues et de magistrats du parquet pour des « interventions bienveillantes »ou encore des informations fournies sur des procédures en cours…
Tout cela sans « renseignement opérationnel » en retour. Alors que le président s’en étonne à plusieurs reprises, Michel Neyret dévoile sa cuisine en matière de « manipulation » d’informateurs, qui s’apparenterait à la maturation d’un bon vin : « Stéphane Alzraa était un informateur en devenir, une relation naissante. D’où des interventions plus importantes que pour mes autres contacts, déjà acquis. » « C’est un peu la faute à pas de chance si l’enquête est tombée à ce moment-là, alors ? », ironise Olivier Géron.
Autre objection, soulevée cette fois-ci par la procureure Annabelle Philippe : pourquoi se rapprocher d’individus qui évoluent dans la sphère de la grande délinquance financière, bien loin du terrain de prédilection de Michel Neyret, le grand banditisme et les stupéfiants ?
« Je cherchais à faire une grosse affaire »
On touche le cœur du problème et l’ancien ponte de la police a bien du mal à s’en expliquer. Attrapant le micro du pupitre pour donner plus de portée à sa voix étonnamment fluette, il évoque « l’imbrication » entre le milieu des escroqueries, du grand banditisme et de la criminalité. « Je m’intéressais à l’environnement de Stéphane Alzraa et Gilles Bénichou. Pas forcément pour moi mais pour d’autres services de police qui travaillaient sur ces domaines », argue-t-il sans convaincre. Sa femme, Nicole Neyret, prévenue à ses côtés, donne une version moins policée : « Il n’arrêtait pas de dire ‘Je vais rentrer dans le milieu juif (sic), je suis content' ». « Je cherchais vraiment à faire une grosse affaire sur le dos de Stéphane Alzraa », rectifie son mari.
On a l’impression que les renseignements vous les donnez, mais vous n’en demandez pas.
La ligne de défense de Michel Neyret est d’autant plus difficile à tenir que l’intéressé ne connaissait visiblement pas en détail la teneur des infractions commises par ses informateurs et leurs relations. Leurs noms apparaissent pour la plupart dans la fraude à la taxe carbone, l’une des escroqueries du siècle. Les signaux, pourtant, sont nombreux, relève la procureure. Stéphane Alzraa, qui lui demande de se renseigner sur un mandat d’arrêt émis contre lui, évoque « 7 millions d’euros bloqués quelque part ». « C’était peut-être le moment d’ouvrir les yeux, lui lance Annabelle Philippe. Stéphane Alzraa n’avait qu’un seul objectif, pouvoir circuler pour continuer à commettre ses infractions. » Le président enfonce le clou : « On a l’impression qu’il n’y a pas de jugement de votre part, pas d’analyse de la situation. »
« Manipulé » par Benichou
Acculé, Michel Neyret fait acte de contrition. Douloureusement. « Je constate avec tristesse et angoisse que la confiance que j’avais placée dans ces personnes était déplacée. Elles ont profité de ma situation, en ont abusé. »L’ex-star de l’antigang lyonnais, qui franchissait une forêt de caméras avec le sourire en arrivant à ce procès, a perdu de sa superbe. « ll est métamorphosé », confirme en marge de l’audience le journaliste du ProgrèsRichard Schittly, qui a longtemps fréquenté l’ancien patron de la BRI de Lyon avant d’écrire un livre sur sa chute.
« J’ai du mal à l’admettre », répète le prévenu à l’envi. « J’ai fait preuve d’une imprudence absolue, j’ai manqué de professionnalisme », ajoute celui dont la carrière a été couronnée par la Légion d’honneur en 2004. Un « aveuglement »lié, selon lui, à la personnalité de son principal interlocuteur à l’époque, Gilles Bénichou. Cette figure de la « jewish connection » lyonnaise est présentée depuis plusieurs jours comme un « mythomane », « hâbleur », n’hésitant pas à se faire mousser en utilisant le nom de Michel Neyret à tort et à travers dans ses conversations téléphoniques.
Je pense que monsieur Benichou a été un grand manipulateur
Une « délinquance astucieuse »
Michel Neyret, le manipulateur d’informateurs, manipulé à son tour, tel une marionnette. Le président Olivier Géron a du mal à l’entendre : « J’ai du mal à croire qu’un policier avec votre ancienneté et votre carrière puisse se faire berner par un indic escroc », lâche-t-il derrière ses lunettes. « Avec Gilles Bénichou et Stéphane Alzraa, j’ai voulu reproduire le schéma que j’avais l’habitude d’appliquer avec mes informateurs dans le grand banditisme », tente Michel Neyret. Une méthode de renseignement basé sur « le ratio intérêt/entorse » (à la règle) et sur le trio « voyou-policier-magistrat ». « Mais quand j’ai voulu toucher à cette forme de criminalité financière, cette délinquance astucieuse, j’ai mal maîtrisé », confesse l’homme.
En somme, Michel Neyret, décrit comme étant d’une intelligence rare par son avocat Yves Sauvayre, aurait pêché par incompétence en se frottant à ces escrocs bling-bling, plus habitués à manier la fraude fiscale que les armes. L’accusation a une autre thèse. « Ce n’est pas le stade des réquisitions mais je vais vous dire le fond de ma pensée », déclare la procureure. « J’ai tendance à croire que vous ne vous êtes pas fait berner mais que vous vous êtes laissé corrompre et que ça vous a aidé à fermer les yeux. » Pont de l’Ascension oblige, le tribunal n’examinera ce volet corruption que lundi prochain. Au programme, les cadeaux, voyages et autres avantages dont ont bénéficié par Michel Neyret et son épouse.
« On ne voulait pas être ceux qui écorcheraient la légende Neyret » : trois policiers entendus au procès de l’ex-commissaire.
L’ex-grand flic lyonnais Michel Neyret est jugé depuis le 2 mai devant le tribunal correctionnel de Paris. Trois policiers comparaissent pour les mêmes motifs. Ils ont été appelés à la barre mardi.
La police face à la justice. C’est l’image qui reste de l’audience devant le tribunal correctionnel de Paris, mardi 10 mai. Une police incarnée par des visages : le premier est rond, le deuxième plus creusé et le troisième agrémenté d’une barbe discrète en collier. Jean-Paul Marty, capitaine, Gilles Guillotin, commandant, et Christophe Gavat, commissaire. Les trois hommes sont à la barre. Et il y a, en arrière-plan, la figure de Michel Neyret.
L’ex-numéro 2 de la PJ lyonnaise les a entraînés dans sa chute. Tous sont renvoyés devant la justice pour « trafic de stupéfiants, détournement d’objet placé sous scellés et association de malfaiteurs ». Car des écoutes révèlent que Michel Neyret a tenté de se procurer auprès de ses collègues de la résine de cannabis ayant fait l’objet de saisies. L’objectif était de rémunérer en nature des « tontons », ces fameux informateurs de la police. Cette pratique, encore fréquente selon les informations de francetv info, est au coeur du second volet de ce procès, entamé le 2 mai.
Michel Neyret, « un grand monsieur »
Jean-Paul Marty est le premier appelé à la barre. Il était chef d’un groupe au sein de la brigade des « stups » de Lyon au moment des faits. C’est le seul qui reconnaît avoir remis des stupéfiants à Michel Neyret. Il raconte comment il a saisi 296 kilos de cannabis avec une équipe, le 24 juin 2011. « C’était un vendredi soir, je pense. » Comment il a constitué des scellés avec ses collègues jusqu’à 3 heures du matin. Et comment il a rangé dans son armoire trois « savonnettes » de cannabis oubliées dans la confection de scellés, en se disant « on verra demain ». « J’ai fait une connerie, j’ai pas fait de PV à ce moment-là », regrette-t-il à l’audience.
Il dit avoir oublié la drogue pendant quelques jours. Jusqu’à ce que Michel Neyret lui demande : « Est-ce que la destruction s’est bien passée ? Est-ce que vous avez pensé à moi ? » « J’ai donné les trois plaquettes de cannabis que j’avais à ce moment-là pour donner le change et me libérer de la pression que j’avais », explique-t-il. Soit 300 grammes sur la totalité. Or, dans certaines conversations, il est question de « 10 à 15 kg » de cannabis »récupérés » via le même procédé, soit bien plus.
Le capitaine de police précise que Michel Neyret n’était pas son chef direct. »C’était une période où notre cheffe était absente, elle était en congé maternité. » Une période pendant laquelle Jean-Paul Marty a eu affaire à Michel Neyret, trois mois avant son arrestation. Le célèbre flic lyonnais n’avait pas encore perdu de sa superbe. « Un grand monsieur. » Il était « autoritaire, certes, mais il prenait ses responsabilités », décrit Jean-Paul Marty.
« Des hommes vénéraient Michel Neyret, littéralement »
Face à ses anciens subordonnés, Michel Neyret retrouve un ton de supérieur hiérarchique et cette assurance qui lui valait sa réputation. « On recrute des informateurs et on les infiltre dans les réseaux. On les rémunère mais pas suffisamment », explique-t-il au président du tribunal, Olivier Géron. Alors le commissaire ajoutait des « récompenses » pour les indics. « J’assume totalement cette démarche illégale », assure-t-il. C’est sa méthode de travail, »sa vision personnelle ». Il veut la transmettre.
J’ai mis la pression sur un certain nombre de fonctionnaires pour permettre de trouver des issues à des affaires magnifiques.
Parmi ces fonctionnaires, il y a Christophe Gavat, ex-chef de l’antenne grenobloise de la PJ et son adjoint, Gilles Guillotin. Ils sont mis en cause par des écoutes dans lesquelles ils expliquent à Michel Neyret avoir mis de côté des stupéfiants pour les informateurs. Mais à l’audience, ils disent avoir menti à l’ex-commissaire pour obtenir la tranquillité.
C’est compliqué de dire non à Michel Neyret avec tout ce qu’il représente. C’est un grand chef charismatique.
Pourquoi, alors, ne pas avoir prévenu d’autres supérieurs hiérarchiques ? « On ne voulait pas être ceux qui écorcheraient l’image, qui allaient abimer la légende Neyret », répond Christophe Gavat. « Est-ce qu’on sait que c’était un chef exigeant ? Oui. Qu’il mettait la pression ? Oui. Qu’il servait l’intérêt général ? Oui », renchérit lors d’une suspension d’audience son avocat, Emmanuel Daoud. « Des hommes vénéraient Michel Neyret, littéralement. C’était une réalité en 2011. »
« Personnellement je n’ai pas eu d’indicateurs »
Christophe Gavat se dit dévasté par cette affaire : « Cela a été un tsunami personnel. » Sa vie familiale en a pâti. Il a divorcé. Ses parents assistent à l’audience pour le soutenir. « C’est une famille catholique, unie, commente Emmanuel Daoud. C’est très dur, il se retrouve du jour au lendemain présenté comme un ripou. » Deux écoutes téléphoniques le mettent en cause. « Mon erreur a été de dire : ‘C’est fait la destruction et c’est fait la conservation' », regrette-t-il. « Personnellement je n’ai pas eu d’indicateurs. J’en ai inscrit deux à la PJ, je n’en ai pas eu besoin », argue-t-il.
Les policiers ne lâchent rien sur cette pratique autour des indics, connue, mais dont on sait peu de choses. Alors le président du tribunal s’énerve. « Je vais être franc avec vous : vous m’agacez un peu tous les trois. Malgré vos années de service, vous dites que vous n’avez jamais eu de discussion avec des collègues qui vous ont fait part de difficultés avec des informateurs… » « Ils ont toujours existé, finit par concéder Gilles Guillotin. Mais je n’ai pas eu à en gérer. »
« Je voulais marquer une empreinte sur le banditisme à Lyon »
Si Michel Neyret ne fait pas mystère de cette pratique, pour autant, à l’époque, lui non plus ne la partage pas avec son responsable. Le président du tribunal insiste pour comprendre.
– « Pourquoi vous n’en parlez pas ?
– Parce que j’étais seul. La pression que je mettais sur les fonctionnaires était le reflet de la pression que j’avais sur les épaules.
– Ce n’était pas envisageable de demander à vos supérieurs hiérarchiques jusqu’où ils pouvaient vous laisser aller ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Parce que ma motivation était de faire marcher le service. J’avais la confiance de la direction pour cela. (…)
– Qu’est-ce qui vous permet de dire que votre stratégie est la bonne ?
– Je ne dis pas que c’était la bonne. Je dis que c’était ma vision personnelle. J’avais cette mission que je m’étais assignée. J’ai employé des moyens que la loi réprouve. Je n’ai pas de circonstances atténantues, c’est pour ça que je suis là aujourd’hui. »
Avec, à la clé, le succès. C’était une « pure approche personnelle pour avoir des résultats. » « Mon objectif était de faire tomber les voyous », insiste-t-il. « Je voulais marquer une empreinte sur le banditisme à Lyon », reconnaît-il. Une obsession de la réussite qui finira par précipiter sa chute. Dans laquelle il a aussi entraîné ses collègues, ce qu’il n’assume plus aujourd’hui.
Je sais que j’ai commis des fautes pénales et je l’assume complètement. Je m’en excuse encore une fois auprès de mes collègues. C’est un poids qui me pèse.
Un poids qu’il prend sur ses épaules face à ses collègues, donnant plus que jamais l’image d’un policier brillant, qui s’est enfermé dans sa solitude.