Attaqué sur de nombreux fronts, le groupe jihadiste n’est plus certain de survivre ; il pourrait au final ne devenir qu’une organisation terroriste de plus.
Il pourrait être trop tôt pour oublier l’Etat islamique (EI), le groupe terroriste sunnite fondamentaliste qui contrôle de larges portions de Syrie et d’Irak, mais il y a des indices montrant que l’organisation terroriste commence à s’effondrer sous la pression des attaques venues de multiples fronts.
Dans une série d’attaques mortelles dans la région alaouite de Syrie cette semaine, les bombes de l’EI ont tué 150 personnes ; à Falloujah, en IrBagdadak, à juste une heure de voiture de Bagdad, au moins 35 soldats irakiens et membres des forces de milices chiites ont été tués alors qu’ils essayent de libérer la ville du contrôle de l’EI ; et ce mois-ci, une série d’attaques mortelles a dévasté Bagdad, tuant des centaines de personnes.
Mais malgré la mort et la destruction que laisse l’EI dans son sillage, un examen des récents développements sur les fronts syrien et irakien démontre à quel point l’état de l’organisation est désastreux, alors qu’une alliance Iran – Irak se referme sur elle à l’est et que les forces kurdes et américaines avancent au nord.
En infériorité numérique à l’est.
A l’est, la guerre fait rage aux frontières de Falloujah, où l’EI tente de faire autant de victimes que possible en utilisant ses techniques de combat éprouvées, celles qui l’ont aidé à capturer la ville en premier lieu, principalement avec des terroristes kamikazes qui conduisent des voitures chargées d’explosifs contre les postes armés irakiens.
Falloujah est extrêmement importante pour l’EI. C’est la première ville à avoir été capturée par l’organisation et la base d’où elle a commencé ses violentes escapades dans la région. En conséquence, le combat à Falloujah pourrait durer des mois.
Il est raisonnable de supposer que l’EI fera presque tout pour défendre la ville et prouver qu’il peut survivre. Mais la réputation redoutable des combattants de l’EI et leur grande motivation – les éléments qui leur ont souvent donné l’avantage quand ils étaient en infériorité numérique – pourraient ne pas suffire à les sortir de leur actuelle situation critique.
La ville de Ramadi, symbole de résistance contre les forces américaines il y a tout juste une décennie, a été reprise à l’EI en à peine un mois.
Les Iraniens, peut-être par crainte des forces et milices irakiennes combattant l’EI, ont envoyé Qassem Sulaimani, dirigeant des Gardiens de la révolution iraniens, pour superviser le combat à Falloujah. Ses forces, aux côtés des miliciens et des soldats irakiens, comptent 20 000 hommes qui affrontent environ 1 000 combattants seulement de l’EI barricadés dans la ville.
A la lumière de l’offensive irakienne qui a recommencé cette semaine, l’EI pourrait essayer de démontrer ses capacités actuelles pour ravager des emplacements ciblés d’Europe et de l’Occident. Quelles que soient les terreurs qu’il peut déchaîner, cependant, la chute de Falloujah constituerait un coup écrasant porté à la souveraineté de l’EI à l’est.
Des troubles venus du nord.
Le combat sur le front nord sera plus long à être résolu. Bien que les forces de l’opposition syrienne aient déjà commencé à bombarder des villages du district de Rakka, les combats sont toujours éloignés de 60 kilomètres du cœur du fief de l’EI, dans la ville de Rakka elle-même.
Les opérations menées contre l’EI dans le district de Rakka sont souvent supervisées et soutenues par les forces américaines. La contribution américaine à l’offensive contre l’EI a été mise en évidence par une récente visite sur le front du chef du Commandement central des Etats-Unis, Josef Votel qui y a rencontré des représentants des forces kurdes et syriennes combattant l’EI, comme les Forces démocratiques syriennes et le YPG, la branche armée du Parti de l’union démocrate de Rojava, la région kurde de Syrie.
L’offensive commune kurdo-syrienne sur Rakka pourrait prendre du temps, mais même la simple annonce de son commencement est une source d’inquiétude pour l’EI.
Est-ce la fin ?
Il est possible que le combat autour de Falloujah et Rakka ne fasse que commencer, mais nous pouvons dire avec précaution à ce moment que la survie de l’EI n’est plus acquise. Si les fiefs de l’EI à Rakka et Falloujah tombent, tout ce qui restera à l’organisation sera le contrôle de la petite région de Mossoul, qui sera capturée par l’armée irakienne ou par des milices pro-iraniennes.
Maîtrisé sur son territoire, l’EI, qui était une entreprise bureaucratique qui dirige un état islamique, deviendrait une variété de groupes terroristes – le genre que se « contente » de mener des attentats terroristes et des guérillas.
Etat islamique : la peur du déclin ?

WASHINGTON, DC – SEPTEMBER 17: House Homeland Security Committee Chairman Michael McCaul (R-TX) holds up a copy of Dabiq, the English language magazine published by the Islamic State in Iraq and the Levant (ISIL), during a hearing on ‘worldwide threats to the homeland’ in the Cannon House Office Building on Capitol Hill September 17, 2014 in Washington, DC. Although security and law enforcement officials testified that ISIL has a sophisticated propaganda and recruitment program, they do not pose a direct threat to the United States homeland. Chip Somodevilla/Getty Images/AFP
Dabiq, le magazine de propagande de l’Etat islamique, appelle au rassemblement des fidèles de l’organisation djihadiste pour palier sa baisse d’effectifs, à la suite de ses revers militaires. Dans cette puissante arme médiatique, l’EI décline par ailleurs ses ambitions.
L’État islamique, vient de publier le cinquième numéro de son magazine Dabiq. Ce magazine dont la réputation n’est plus à faire, cible principalement les jeunes occidentaux et Arabes désireux de se battre sous la bannière du califat. Très attrayant avec une maquette minutieusement étudiée, le magazine est disponible en plusieurs langues. Facile d’accès, il est téléchargeable en PDF en quelques clics. Mais que nous dit ce dernier numéro sur l’état d’esprit des leaders de l’EI en position « délicate » depuis le début des frappes de la coalition?
L’anxiété du groupe à l’idée de ne pas avoir assez de recrus pour remplacer les pertes et de voir ceux qui sont présents faire défection est palpable dès les premières lignes. Les textes de ce cinquième numéro sont une sorte de « piqure de rappel », un booster pour le moral des troupes. Les derniers échecs militaires sur le terrain poussent le groupe à compenser sur le papier. Rappelons ici les quelques revers qu’a connu l’EI: il a perdu à la fin du mois d’octobre, le contrôle de la ville stratégique de Baiji et de ce fait son accès à la plus grande raffinerie d’Irak. L’autre perte significative est celle des villes de Jalula et Sadia (provinces de Diyala) au profit des forces Irakiennes, des Peshmerga et des Popular Mobilization Units (PMUs). À cela, il faut ajouter la bataille qui a fait rage à Al Ramadi et qui s’est soldée par la perte de Hît, l’Ouest d’Al Badia (province d’Anbar) et la région de Huz au profit des forces irakiennes. Ajoutons aussi les pertes humaines importantes que le groupe a connues et qui sont à l’origine de son changement de stratégie sur Internet.
Patience et résistance.
La publication insiste de manière appuyée sur le devoir de chaque moudjahid de faire preuve de patience et de « rester ferme face à la fitna ». L’exemple donné est celui du prophète Yahya Ibn Zakariya, tué par le roi des enfants d’Israël qu’il avait outragé en révélant la parole divine. Yahya, l’envoyé de Dieu, a malgré ses doutes et ses peurs, accomplit sa mission. La propagande de l’EI mobilise le passé pour interpréter le présent et pour retrouver des repères identificatoires. Le passé est sans cesse rappelé, évoqué, remémoré, il circule dans un mouvement continuel de « va-et-vient ». On fait croire à la gémellité des temps passés et présents.
Comme Yahya hier, le moudjahid aujourd’hui éprouve de la peur. Mais comme l’envoyé de Dieu, il doit combattre sa peur et balayer ses doutes car Dieu est de son côté. Dieu tente de tester le niveau de foi de ses ouailles. Il faut donc, comme Yahya persister et poursuivre le djihad. Les leaders de l’EI appelle le moudjahid à s’armer de patience et de « […] continue[er] à rester fermes, ayant confiance en la promesse de victoire d’Allah pour tous ceux qui se battent dans sa voie ».
Dabiq présente, photo à l’appui, les preuves de l’omnipotence du groupe. Ainsi, en plus de la trentaine de villages kurdes qui se sont unis au Khalifat dans la région d’Alep, la bataille pour Ayn El Arab est un début de victoire. La publication explique que malgré la force et l’intensité des bombardements de la coalition, malgré la présence des « mourtadines » du PKK et de l’entité communiste, malgré la mort de plusieurs shouhada, l’EI a réussi à briser leur défense et à pénétrer la ville et ce grâce à la patience et à la fermeté de ses moudjahidines.
L’hymne, le drapeau, les frontières et la monnaie.
L’autre point important de ce numéro 5 de Dabiq est l’annonce de la mise en place d’une monnaie pour le khalifat. Le gold dinar est orné de symboles qui montrent les prétentions territoriales de l’EI, une carte du monde y est représentée au dos alors qu’au recto, sept épis sont dessinés pour représenter la bénédiction de la zaqat (3ème pilier de l’Islam). On retrouve sur le « silver dirham », une lance et un bouclier pour rappeler ainsi le devoir des musulmans de poursuivre le jihad. Enfin, sur le « copper fals », on retrouve des palmiers, symbole de l’enracinement de la foi et de la patience dans le coeur du musulman.
Bien que l’effectivité de cette monnaie soit limitée, la symbolique est grande. Non seulement on rejette le dollar très utilisé dans la région, et par-là même le système monétaire international « corrompu » et « basé sur l’intérêt ». Mais en plus, l’EI affirme son appartenance et se dote des attributs d’un véritable État, « autonome » avec un hymne, un drapeau, des frontières et à présent une monnaie. L’EI montre à travers cette monnaie qu’il existe, et se dote d’objets concrets pour témoigner de son existence.
Jusqu’aux portes de la Mecque.
La publication affirme que l’expansion de l’État Islamique est un fait inéluctable. Dès la couverture on retrouve cette affirmation avec l’image de la Kaaba à la Mecque. L’allégorie est puissante, l’EI vise une expansion jusqu’à la Mecque. L’EI ambitionne le rassemblement de tous les musulmans sous sa bannière puisque la Kaaba est le symbole de l’unité des musulmans et la direction vers laquelle se dirigent les musulmans du monde entier pour prier.
Dabiq fait croire au lecteur que l’EI a une forte présence dans plusieurs pays tels : l’Arabie Saoudite, terre sainte « nourrie par le sang des sahaba ». Le Yémen, terre de sagesse et de foi, où l’EI se bat contre les « rafidi houthis », qui ont échoué dans l’accomplissement du tamkin. Le Sinaï, terre où Allah a parlé à Moïse, est le front de la résistance contre les juifs et une plateforme importante de la libération de Bayt el Maqdis. La Libye est l’enfant prometteur avec les moudjahidines de Barqah. Enfin, l’Algérie, terre où les moudjahidines ont combattu le plus longtemps contre un régime tâghût, est le pays où les « frères » ont été les premiers à répondre aux attaques de la coalition. La publication joue sur les mots et fait croire que l’EI est si puissant qu’il arrive à mobiliser seulement avec des mots – au fin fond du globe – des jeunes qui ne parlent pas un mot d’arabe. Sinon comment expliquer les attentats de Numan Haider en Australie, de Michael Zehaf-Bibeau et de Martin Couture-Rouleau au Canada ?
La publication se clôture sur un gros plan sur le visage d’un jeune enfant, originaire du Kazakhstan, vêtit d’un treillis militaire, précédemment vu sur une vidéo de propagande de l’EI. En arrière-plan, d’autres enfants portant la même tenue. Le message est clair : On se bat pour les générations à venir car elles sont celles qui continueront le combat et c’est surtout par elle que le coup décisif arrivera. Ainsi vous, « taghut », « Kouffars », « mouratdines », « nasariyat », ne connaîtrez jamais la paix car nous sommes là et nous persisterons.