Dépressifs, schizophrènes ou fanatiques… On a plongé dans la tête des radicalisés.
Les fous d’Allah sont-ils malades ?
Face à la menace terroriste, les juges ont pris l’habitude de demander systématiquement des expertises psychiatriques.

Et soudain, un fou endeuille l’Amérique. Une cinquantaine de morts dans une boîte gay d’Orlando fusillés, selon les premiers éléments de l’enquête, au nom de l’organisation État islamique (EI). Plusieurs fois, ces dernières années, le FBI avait nourri des soupçons à l’encontre du meurtrier, sans jamais réussir à les étayer. Omar Seddique Mateen, 29 ans, était donc libre d’acheter des armes. Interrogée, sa famille dément un quelconque lien avec le djihadisme, mais parle d’un jeune homme « instable mentalement ». Jamais son ex-compagne, victime de violences conjugales, ne l’avait entendu soutenir le terrorisme ou l’islamisme radical. « Il était évidemment profondément dérangé et traumatisé », a-t-elle confié. Les investigations devraient révéler, dans les prochaines heures, le véritable mobile du tueur : a-t-il agi en raison d’une « homophobie viscérale », comme le dit son père ? En soutien à Daech, comme le supputent d’autres ? À cause d’une maladie mentale ?.
À chaque attentat, le même réflexe : on aimerait les savoir fous à lier. Atteints d’une pathologie qui expliquerait leurs actes et qui nous permettrait, rassurés, de les oublier au fin fond d’un asile. Oui, mais voilà : les djihadistes sont-ils malades ? « Quand je les ai devant moi, là, à les interroger, j’ai parfois tendance à me dire qu’ils sont un peu zinzins. Médicalement, ils ne le sont pas », assure un magistrat du pôle antiterroriste de Paris. De cette folie dépend pourtant leur avenir : seule une abolition de leur discernement permettrait à ces jeunes d’obtenir une irresponsabilité pénale, d’éviter la case prison et un procès réclamé par l’opinion publique. Dans les faits, cela n’arrive jamais : « On ne peut pas se le permettre. Le risque est trop élevé », confie une source judiciaire. Les djihadistes sont donc mis en détention provisoire et jugés. Et qu’importe qu’ils ne nous paraissent pas tout à fait normaux. La raison à cela est également politique : quoi de mieux qu’un procès public pour montrer à la nation que la France punit ceux qui préméditent sa mort ?
« Cela dépasse notre entendement »
Smaïn Aït Ali Belkacem, artificier des attentats de 95, condamné à une nouvelle peine de prison en 2012 pour avoir fomenté son évasion, l’avait bien compris, lui qui a essayé à plusieurs reprises de se faire passer pour plus fou qu’il n’était. Selon des documents , le djihadiste avait pris l’habitude de s’enduire tous les soirs d’excrément – une vieille pratique des prisonniers de l’IRA – pour protester contre son transfèrement à Fleury et pour réclamer son placement en unité psychiatrique. Un stratagème qui n’avait à l’époque dupé personne : une « intelligence normale », « pas de symptômes pathologiques », avait répondu l’enquêteur de personnalité mandaté par la justice. Lequel précisait sa pensée : « (Belkacem) sait très bien où est la vérité, ce qu’il peut ajouter, retrancher, voire interpréter. Et s’il la travestit, c’est d’une manière consciente et délibérée. » Froid et manipulateur.
Chaque semaine ou presque, la XVIe chambre du tribunal correctionnel de Paris voit débarquer son lot de jeunes fanatiques. Des procès qui durent deux ou trois jours, parfois une semaine, et qui, bien souvent, ne permettent pas de comprendre les motivations de ces jeunes. « C’est un véritable défi pour l’avenir. Cela dépasse notre entendement, le vôtre, le mien : pourquoi partent-ils ? », concède un juge, qui n’a pas encore trouvé de réponse. À chaque fois, les professionnels de la justice s’interrogent : où se situe la frontière de la folie ? Les jeunes hommes et femmes qui se présentent devant eux ont-ils véritablement conscience de leurs actes ? Ou sont-ils coupés à un tel point de la réalité qu’ils ne sont plus maîtres d’eux-mêmes ?
Mohamed Achamlane, une personnalité « paranoïaque et perverse »
Au tribunal, les exemples s’accumulent. Ahmed*, la vingtaine, qui a séjourné plusieurs fois en prison pour des délits mineurs avant de partir en Syrie, ne fait pas la différence entre des grands préceptes de l’Islam et certaines théories du complot. Tout se mélange dans sa tête. Mohamed Achamlane, le très médiatique chef du groupuscule islamique français Forsane Alizza (dissous par Claude Guéant en février 2012), est décrit par les experts comme doté d’une personnalité « paranoïaque et perverse ». « Il est égoïste, se considère comme supérieur et trouve normal d’utiliser les autres (…). Il ne paraît pas avoir d’inhibition, d’interdits. Rien ne doit entraver son action (…). L’autre n’existe pas », avaient-ils expliqué lors de l’instruction. Les psychologues concluent : Achamlane a des troubles de la personnalité mais reste accessible à une sanction pénale. Il sera condamné à neuf ans de prison en juillet 2015.
Gauthier, 25 ans, jugé début avril à Paris pour avoir voulu partir en terre de djihad, affirme ne répondre que de la loi d’Allah et refuse de se soumettre aux questions du juge. Ses propos sont décousus et incohérents. En plein milieu de l’audience, il dépose délicatement ses lunettes devant lui dans le box des prévenus et se met à prier, sous le regard désespéré du président du tribunal. Lequel laisse faire cette entorse à la laïcité qui n’aurait jamais dû être tolérée dans l’enceinte d’un palais de justice. « Certains poussent leur religion à un tel extrême que leurs pratiques s’apparentent presque à de la sorcellerie », ajoute un magistrat. Les juges ne sont pas préparés à devoir affronter cela à la barre et ne trouvent de réponses ni dans le code pénal ni dans les livres de psychiatrie.
Des expertises psy automatiques en matière terroriste.
Des gamins comme Ahmed et Gauthier, il y en a des centaines. Il y a quelques années à peine, la presse les qualifiait encore d’« apprentis djihadistes » ou de « pieds nickelés » du djihad. Depuis les attentats de janvier puis de novembre 2015, ils sont devenus, aux yeux des médias, des apprentis terroristes. La justice, elle aussi, frappe plus fort, sans toutefois mieux comprendre. Les peines de prison ne sont plus tellement assorties de sursis et sont facilement multipliées par deux depuis la fin des années 2000. Les drames familiaux et les difficultés sociales ne sont plus des excuses.
Un magistrat antiterroriste confie : « La plupart du temps, nous ne savons pas ce qu’ils ont fait en Syrie. La géolocalisation nous permet de retracer leur parcours mais nous ne savons souvent rien de plus. Nous avons donc pris l’habitude, en matière terroriste, de toujours mandater un expert. » Lequel est chargé de sonder le fou d’Allah. « Nous avons l’espoir de mieux individualiser les peines », précise le magistrat. Cela permet également, même s’il ne faut pas le dire trop haut, pour ne pas froisser les grands principes de notre droit, de mieux mesurer les véritables intentions de ces jeunes. Et de les condamner en conséquence. Des jeunes qui ne sont donc plus seulement enfermés pour leurs actes, mais bel et bien pour leur dangerosité potentielle.
« Enfant, je pensais toujours à tuer les gens »
Anxieux, dépressifs, schizophrènes ou fanatiques… Ils sont coupés de la réalité. Qui sont les djihadistes qui menacent la France ?

« Aimable et menaçant, convenable et méprisant, il oscille entre divers pôles […]. Son parcours reste marqué par une forme d’enfermement, tant dans sa pensée que dans la réalité de ce qu’il vit. » Le rapport, établi en 2010 par un enquêteur de personnalité et que Le Point a pu consulter, est légèrement oppressant, la personne expertisée pour le moins inquiétante. Il s’agit de Djamel Beghal, 44 ans, figure du Groupe islamique armé (GIA) dans les années 90, futur mentor des frères Kouachi. Condamné à une lourde peine de prison, déchu de sa nationalité mais inexpulsable à la suite d’un arrêt de la CEDH, Beghal est assigné à résidence dans le Cantal à la fin des années 2000. C’est là-bas qu’il reçoit régulièrement à son domicile les jeunes ouailles de l’islam radical. Et qu’il leur instille le poison de son idéologie.

On s’est plongé dans des dizaines d’enquêtes de personnalité de djihadistes qui ont fait les gros titres de la presse ces dernières années. On y trouve les prosélytes et les influençables, les fous et les fanatiques, les grands méchants et les faibles d’esprit. Parmi eux, Beghal est vu comme le loup au milieu de la bergerie, le « prisonnier d’une idéologie qui l’enferme », selon son dentiste avec qui il avait sympathisé dans le Cantal. Beghal cherche à impressionner les experts qui le sondent. Une « pression » particulière pas loin de s’apparenter à une « forme d’intimidation », expliquent-ils. L’homme est intelligent, manipulateur. Il n’est atteint d’aucune pathologie mentale.
Beghal, « prisonnier d’une idéologie qui l’enferme »
Anxiété, dépression, ego exacerbé ou sous-dimensionné, rapport aux femmes ambigu… Les souffrances relevées par les professionnels qui ont eu à examiner les djihadistes sont nombreuses. Ils n’en restent pas moins formels : il serait vain, aujourd’hui et sans aucun recul, de vouloir déterminer une pathologie ou un mal qui affecterait en particulier les djihadistes. Et qui expliquerait pourquoi un tel et pas un autre verse dans la violence et l’islam radical. En mars 2015, devant la commission d’enquête sur les filières djihadistes de l’Assemblée nationale, Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, interrogeait ainsi : « Les djihadistes sont partis en bricolant leur identité, pour chercher autre chose. Pour quelles raisons, mis à part l’amertume, le désarroi, l’esprit abandonnique ? »
Ils cherchent une manière d’exister, « un milieu de survie », estime un psychologue. Ainsi en va-t-il de Sabri Essid, demi-frère de Mohamed Merah, dont la vie sociale semble « s’être limitée aux relations religieuses », note le docteur en psychopathologie Nayla Chidiac, dans une expertise datée de la fin des années 2000. « L’adhésion au modèle religieux semble être apparue comme une échappatoire puis, sans doute, une raison de vivre […] Malgré un décalage entre le réel et l’imaginaire chez cet homme jeune, écart renforcé par un manque de maturité face à une idéalisation venant combler l’intolérance et le manque d’affect, il ne présente pas de délire ni de perturbation de la structure mentale », ajoute-t-elle. Condamné à cinq ans de prison ferme dans le cadre du démantèlement de la filière « Artigat », on retrouvera Sabri Essid quelques années plus tard, ordonnant à un enfant, dans une vidéo diffusée sur le Web, d’abattre un otage à bout portant…
Coulibaly, des traits de personnalité « immatures et psychopathiques »
Mais derrière ces cas extrêmes ne se cache, à en croire les experts, aucune maladie. Les djihadistes ne sont pas fous (voir notre épisode 1 : les maladies des fous d’Allah). Abdelkader Merah, complètement fanatisé et bientôt jugé en tant que complice dans les tueries de Toulouse commises par son frère, est vu comme ayant une « personnalité rigide » avec un « appoint narcissique ». Rien de plus. Ses propos abjects tenus en garde à vue au moment même où Mohammed était retranché dans son appartement sous l’assaut du Raid n’y changent rien : Abdelkader Merah n’est atteint d’aucune pathologie.
Même constat pour Amedy Coulibaly, expertisé en 2002 après le braquage d’une banque, alors qu’il n’était encore qu’un gamin. Les experts avaient décelé chez lui une pauvreté de ses capacités d’introspection, un « sens moral très déficient » et des traits de personnalité « immatures et psychopathiques ». Amedy Coulibaly s’inscrit, au travers de ses actes, dans « la recherche de puissance », écrivaient-ils. Plus d’une décennie plus tard, en janvier 2015, le tueur de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes leur donnera, hélas, raison.
« Un malaise intime palpable »
Dans son rapport sur les filières djihadistes rendu public en 2015, le député socialiste Patrick Menucci avait amorcé un début de réponse : « Les psychologues que la commission d’enquête a rencontrés ont souligné l’immaturité et l’instabilité de la plupart des individus radicalisés, dont beaucoup présentent des fragilités narcissiques [une faible estime de soi], une intolérance à la frustration ainsi qu’une pauvreté, voire une absence d’affects. » Dans plusieurs cas que nous avons consultés, les experts décèlent de véritables « malaises intimes » et une volonté « quasi obsessionnelle de rencontrer une femme ». Lorsqu’ils n’y arrivent pas, ces jeunes reportent leur frustration dans l’expression de leur religion.
Certains ont le « sentiment passionné d’être persécutés » et se définissent eux-mêmes, bien que rien ne l’indique médicalement, comme des « fous furieux », raconte un expert psy. C’est ainsi que des personnes qui auraient pu être des délinquants de droit commun ont choisi l’islam pour tenter de canaliser leur violence. Kenji*, un gaillard de deux mètres d’origine antillaise, a ainsi été condamné de nombreuses fois pour des délits de droit commun, avant de rencontrer les Beghal, Kouachi et Coulibaly et d’être incarcéré à son tour pour des faits de terrorisme. Détenu violent et déséquilibré, il avait refusé, en 2010, de se confier au psychologue sur les souvenirs de sa jeunesse. « [Enfant], on aurait pu déceler en moi un futur serial killer. Je pensais toujours à tuer les gens. Je me demandais ce que ça ferait, ce qu’on ressentait. » « Je suis né dans le sang, je vais mourir dans le sang », avait-il ajouté. Verdict de l’expertise : « Un comportement transgressif du sujet, se caractérisant par une personnalité psychopathique en rapport à une carence de l’étayage dans le milieu familial. » Kenji n’est jamais sorti de prison.
Omar Mateen homosexuel ? Le tueur d’Orlando aurait fréquenté le club gay.
Plusieurs témoignages laissent penser qu’Omar Mateen était homosexuel. Il a tué 49 personnes dans un bar gay d’Orlando dans la nuit de samedi à dimanche…
Omar Mateen cherchait-il seulement à faire des repérages dans ce club ? Peut-être. Mais d’autres témoignages accréditent la thèse selon laquelle il serait homosexuel lui-même. Un ancien camarade de promo, d’abord, affirme qu’Omar Mateen lui avait fait des avances en 2006. Un client de la boîte de nuit assure ensuit avoir reçu des messages via l’application Jack’d, destinée aux gays. Plus troublant encore : le témoignage de l’ex-femme du tireur à SBT Brasil qui prétend qu’Omar Mateen avait des « tendances homosexuelles refoulées », comme le rapporte Le Parisien. D’après elle, son père l’avait d’ailleurs plusieurs fois « traité » d’homosexuel. Ce dernier a de son côté affirmé que le tueur d’Orlando était entré dans une colère noire quelques jours avant le drame en voyant deux hommes s’embrasser.