Avec l’arrestation le 4 novembre de neuf députés d’opposition du Parti démocratique des peuples, le président durcit sa politique de répression. Pourtant, la société civile est incapable de réagir.

« La Turquie est en train de plonger dans une vraie dictature. » Tel est le sombre constat fait par le journaliste Olivier Bertrand, détenu trois jours durant dans les geôles turques. Mardi 15 novembre, quatre mois jour pour jour après la tentative de coup d’Etat, le régime du président Recep Tayyip Erdogan continue la vaste purge, lancée au lendemain du putsch manqué.

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Au moins 50 000 arrestations.

Depuis l’été, les autorités turques ont arrêté environ 50 000 personnes, selon un rapport parlementaire turc présenté fin septembre et relayé par Euronews. Plus de 110 000 autres ont été renvoyées ou suspendues de leurs fonctions. L’armée et la police ont, les premières, fait les frais de ce grand nettoyage. Plus de 12 800 policiers ont été mis à pied et plus de 4 500 militaires limogés, y compris des hauts gradés. Près de la moitié des généraux et amiraux turcs ont ainsi été écartés.

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Au sein des ministères aussi, le pouvoir turc a fait le ménage, en particulier dans l’éducation, où 28 000 fonctionnaires, enseignants et universitaires ont été licenciés. Un millier d’écoles privées et 19 universités ont été fermées. De même au sein de l’appareil judiciaire, où au moins 3 390 magistrats ont été démis de leurs fonctions.

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Les médias et l’opposition réduits au silence.

Le régime d’Ankara tente aussi de mettre la presse au pas. Quelque 45 journaux, 23 stations de radio, 16 chaînes de télévision, 15 magazines et trois agences de presse ont été fermés… Au total, 170 organes de presse ont été réduits au silence, 105 journalistes placés en détention et 777 cartes de presse annulées, selon l’Association des journalistes de Turquie.

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L’opposition est également ciblée. Une dizaine de responsables et de députés du principal parti pro-kurde, le HDP, ont été arrêtés. Les entrepreneurs suspectés d’être liés au prédicateur Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme l’instigateur du putsch manqué, sont eux aussi inquiétés. Quelque 500 entreprises ont vu leurs biens confisqués. Les partenaires occidentaux de la Turquie ont exprimé leur inquiétude et leurs critiques, mais ils restent bien impuissants face à l’ampleur de cette purge.

Erdogan caricature

 

La Turquie d’Erdogan de plus en plus autoritaire.

En Turquie, quatre mois après la tentative de coup d’État, la répression se poursuit. Les journalistes ne sont pas épargnés, à l’image du Français Olivier Bertrand.

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Il est de retour à Paris. Le journaliste Olivier Bertrand, qui travaille pour le site d’information en ligne Les Jours, avait été arrêté vendredi alors qu’il était en reportage à la frontière turco-syrienne. Sur son compte Twitter, il se félicite de sa libération, mais, écrit-il, « ces quelques jours ne sont rien à côté de ce que vivent des milliers d’opposants en Turquie ». C’est vrai que l’immense purge à laquelle se livre le pouvoir turc vise de plus en plus la presse.

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L’UE armerait le PKK

Le 11 novembre, des policiers sont venus interpeller le patron du principal journal à l’aéroport d’Istanbul. Et quand des manifestants protestent contre l’arrestation de deux hauts responsables d’un parti prokurde, les forces de l’ordre les dispersent sans ménagement. L’UE s’émeut alors Erdogan accuse : « L’UE qualifie le PKK d’organisation terroriste et pourtant arme ses membres ». Depuis le coup d’État raté de juillet, les frictions ne cessent de se multiplier. La Turquie de l’autoritaire président Erdogan et ses atteintes répétées aux libertés inquiètent sérieusement l’UE.

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Nuray Mert:

Mon pays semble avoir perdu le cap comme jamais auparavant. Les crises que nous connaissons tirent leur origine de la fin non déclarée de l’ancien régime républicain et de l’avènement non déclaré de la “nouvelle république”. De fait, nous, les démocrates penchant vers la gauche, rêvions aussi d’une nouvelle république, nous dénoncions l’attitude autoritaire du statu quo ante et brûlions d’un régime plus démocratique. L’ancien régime n’a pas pu survivre aux nouvelles exigences émanant d’une partie considérable de la société, à savoir les conservateurs et les Kurdes. Le projet d’État-nation kémaliste, qui reposait sur une conception rigide de la laïcité et de l’unité nationale, était voué à échouer à un moment ou un autre. Le défi était de le remplacer par une république plus démocratique, mais ce rêve a échoué aussi, car la disparition du statu quo ante a laissé un vide qui a été comblé par la force montante du nationalisme de droite et de l’islamisme, ou plutôt d’un nationalisme islamiste.

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La nouvelle république repose sur un autoritarisme conservateur et sur le nationalisme turc, mais la transition vers l’ordre nouveau est loin de se faire en douceur et dans le consensus. La semaine dernière [le 31 octobre], les journalistes et les rédacteurs du quotidien Cumhuriyet (La République) – l’un des derniers bastions de l’opposition – ont été interpellés, et neuf d’entre eux arrêtés pour soutien au terrorisme güléniste et kurde. Dans le même temps, plusieurs personnalités politiques kurdes, parmi lesquelles le chef du Parti démocratique du peuple, le principal parti kurde, et le maire de Diyarbakir [la “capitale” kurde du sud-est de la Turquie], ont été démises de leurs fonctions et arrêtées. C’est le pire moyen pour “régler le problème kurde”. Cela ne peut qu’aggraver les problèmes et mettre en danger les perspectives de paix sociale et de compromis politique.

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Incapables de réagir.

Le pays est en état d’urgence depuis le coup d’État [manqué] du 15 juillet, et des décrets durs ayant force de loi tombent tous les jours pour renforcer l’emprise du gouvernement actuel. La Turquie est un système présidentiel de facto aux caractéristiques particulières, et seul compte le pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan. La nouvelle république n’est rien de plus qu’un régime défini par le culte de la personnalité du président Erdogan. Pour ses partisans, ce dernier incarne non seulement la volonté nationale mais aussi une mission historique et religieuse. C’est donc l’acceptation ou le refus de sa volonté qui définit l’ami ou l’ennemi de la nation. Il n’est plus question d’indépendance de la justice ni de séparation des pouvoirs, puisque les lois sont appliquées selon cette nouvelle définition du crime et du châtiment.

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Il est vrai qu’il n’existe pas d’opposition démocratique forte susceptible de freiner cette tendance autoritaire, et que l’ancien régime n’a pas réussi à instaurer des institutions démocratiques et une opinion publique. Néanmoins, c’est également parce que la Turquie a jusqu’à présent été totalement autoritaire, avec une société bourgeoise modérée, que ceux qui s’opposent à la voie actuelle se retrouvent incapables de réagir à l’intensification de la pression politique. Loin d’être critiquable, il est heureux que les gens ne descendent pas facilement dans la rue pour protester et manifester, puisqu’il n’est plus possible d’exprimer son désaccord sans risquer sa vie et se faire arrêter. La divergence démocratique ne peut réagir à la pression politique que de façon démocratique, et une société raisonnable et respectueuse des lois se doit de ne pas céder à la provocation et ni recourir à des méthodes qui risqueraient de mener à la guerre civile.

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Il est paradoxal que les démocrates ne puissent se défendre dans une atmosphère politique non démocratique et qu’une dissidence saine et raisonnable ne puisse faire face à l’extrémisme politique. De même, notre société bourgeoise veille à ne pas risquer sa vie et sa sécurité au nom de l’opposition politique, mais l’absence d’opposition déterminée conduit inévitablement à une menace contre la vie et la sécurité de tout le pays.

La Turquie conquise par Donald Trump.

Pour des raisons touchant au nationalisme turc, le parti islamiste au pouvoir, sa presse et une majorité de citoyens penchent pour le candidat républicain, malgré ses saillies contre les musulmans.

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La Turquie suit la campagne présidentielle américaine avec le plus grand intérêt. Pressentant que l’issue de ce vote aura de lourdes répercussions sur la relation entre Washington et Ankara, de nombreux chroniqueurs se demandent de quel candidat souhaiter la victoire. Les remarques particulièrement scabreuses de Donald Trump à l’égard des femmes ont probablement perturbé plus d’un conservateur turc. Il y a quelques jours, un tabloïd progouvernemental titrait en couverture : “L’islamophobe Donald Trump est également un pervers.”

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Reste que la plupart des médias fidèles au gouvernement semblent légèrement pencher en faveur du candidat républicain, tandis que ceux de l’opposition soutiennent Hillary Clinton. Cette tendance, assez surprenante vu l’hostilité affichée de Trump à l’encontre des musulmans, s’explique par la prépondérance des questions de politique intérieure sur le reste de l’ordre du jour politique.

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Les gülenistes pro-Clinton.

Pour les Turcs, le coup d’État manqué du 15 juillet a marqué un tournant dans bien des domaines. Les réactions de Donald Trump et d’Hillary Clinton face à cette tentative de putsch et à la possible extradition de Fethullah Gülen [le prédicateur islamiste modéré réfugié aux États-Unis et accusé par le président turc Erdogan d’avoir fomenté le coup d’État] ont redessiné les contours de l’opinion publique turque. Alors qu’ils s’étaient irrité des discours de Trump lorsque celui-ci parlait d’“interdire l’entrée des musulmans” aux États-Unis, les médias pro-Erdogan ont commencé à revoir leur position dès qu’il a déclaré son entier soutien au président turc. Les choses se sont en revanche compliquées pour Clinton, perçue comme une alliée du mouvement Gülen, tenu responsable du coup d’État.

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Le 6 octobre, Sabah, principal journal progouvernemental, a inscrit à sa une : “Les contributions religieuses [l’argent collecté par le mouvement Gülen] sont allées à Clinton.” Le 28 septembre, d’autres journaux proches du pouvoir, comme Yeni Safak ou Yeni Akit, ont fait état du coup de filet contre l’association Kimse Yok Mu, proche des gülénistes, qui a débouché sur la mise en détention de 41 personnes. D’après ces journaux, l’argent collecté à l’occasion de l’Aïd-El-Kébir à des fins humanitaires aurait en réalité été transféré aux États-Unis. Un million de dollars auraient ainsi été versés à la campagne de la candidate démocrate, affirmaient ces journaux, ajoutant que plusieurs entreprises liées au mouvement Gülen auraient fait campagne pour Hillary Clinton.

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Le racisme de Trump exagéré ?

Résultat : en Turquie, la majorité de la population semble soutenir Trump, tandis qu’aux États-Unis la majorité des Turcs préfèrent Hillary Clinton, écrit Mahmut Ovur dans Sabah. Clinton, écrit-il, est “représentative” de la politique extérieure américaine : elle soutient la création de micro-États et encourage une politique de “chaos contrôlé” dans des régions importantes.

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Passant rapidement sur les propos racistes ou discriminatoires de Trump, Ovur applaudit surtout les positions du magnat de l’immobilier lorsqu’il promet de tenir compte des intérêts des États existants et lorsqu’il dit vouloir privilégier la stabilité. Une opinion que partage très largement Kayahan Uygur dans le journal Gunes, pour qui on a exagéré le racisme de Trump, ce dernier n’ayant en réalité pas peur de l’islam.

En outre, ajoute Uygur, Clinton n’est pas moins raciste si l’on considère son bilan au sein de l’administration Obama et son zèle “belliciste et source de tensions”. L’idée, très répandue dans le camp conservateur turc, que la CIA a été impliquée dans la tentative de coup d’État de juillet séduit de plus en plus de partisans de l’AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir). “Si Trump est meilleur pour notre pays, conclut Uygur, nous ne pouvons pas rester neutres.”

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Dans la même veine, Ismail Caglar écrit dans les colonnes du quotidien progouvernemental Turkiye que l’on “ne peut pas avoir pire qu’Obama” et que Trump serait vraisemblablement préférable pour les relations américano-turques. Yusuf Ziya Comert écrit dans Karar, un journal relativement proche du pouvoir, que la Turquie n’a pas plus à attendre d’un candidat que de l’autre. “Nous n’avons rien à gagner d’une victoire d’Hillary”, souligne-t-il néanmoins.

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À en juger d’après mes échanges avec une femme d’affaires turque, admiratrice de Donald Trump et proche de l’AKP, les milieux politiques ne s’offusquent ni des commentaires sexistes ni de la misogynie du candidat républicain.

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Bon comme un citron bien rond !

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