Rojda Felat, 35 ans, est à la tête de l’opération Colère de l’Euphrate, qui vise à déloger l’Etat islamique de sa « capitale » syrienne, Raqqa.

Cette féministe kurde mène 45.000 combattants à l'assaut de DaechCette féministe kurde mène 45.000 combattants à l’assaut de Daech.

Elle dit s’inspirer de Napoléon et de Saladin. Ce petit bout de femme au visage d’Apache, coiffée d’une longue tresse de cheveux noirs, dirige depuis la ville d’Ain-Issa, bourgade située à une trentaine de kilomètres au nord de Raqqa, un contingent de 45.000 combattants.

Ils sont regroupés au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), composées essentiellement de Kurdes des Unités de Protection du Peuple (YPG-YPJ), mais également de volontaires arabes issus de la Brigade des Révolutionnaires de Raqqa.

Après Mossoul en Irak, l'offensive

A 6 kilomètres de Daech.

« Nous sommes à 6 kilomètres des premières positions de Daech », explique la chef de l’opération Colère de l’Euphrate, lancée le 6 novembre et destinée à déloger les djihadistes de leur « capitale » syrienne. La première phase de l’opération a consisté à approcher la ville par le nord, en sécurisant les deux rives du lit de la rivière Balikh. « Nous avons avancé vers le sud d’Ain-Issa sur les deux rives de la rivière et nous nous trouvons actuellement à 26 kilomètres au nord de la ville. »

 

Depuis le 10 décembre, Rojda Felat a lancé, avec l’appui aérien et terrestre des forces de la coalition internationale, la deuxième phase de l’opération qui vise à reconquérir les villages situés à l’ouest de Raqqa.

Dans l’hiver syrien, les hommes se réchauffent autour d’un brasero dans lequel ils font brûler des morceaux de plastique. Difficile de trouver un arbre sur cette terre balayée par les vents. Au milieu de cette fumée toxique, Rojda Felat donne ses ordres à une centaine de combattants masculins, talkie-walkie en main et sourire aux lèvres.

L’avancée dans les champs de boue situés sur la rive est de l’Euphrate est rapide. Aucun abri naturel n’offre de refuge aux djihadistes, contraints de battre en retraite. Dans le ciel, le bourdonnement des drones de la coalition internationale est permanent, et les frappes aériennes opérées par les bombardiers américains ouvrent la voie aux FDS. Felat explique :

« Notre objectif est d’atteindre le barrage de Tabqa. La prise de cette infrastructure située en aval du lac al-Assad permettra de compléter l’encerclement de Raqqa par l’ouest. « 

Construit dans les années 1970 avec le concours de l’Union soviétique, le barrage de Tabqa est stratégique et difficile à conquérir. Le bombardement de cet ouvrage occasionnerait une catastrophe écologique dans les territoires irakiens en aval du fleuve et une catastrophe humanitaire en Syrie ; en cas de destruction, de vastes territoires en Irak seraient inondés, alors que l’est de la Syrie serait privé d’électricité.

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Libérer les femmes yézidies.

« Sachez que je ne suis pas la seule femme à combattre la barbarie de Daech. Nous sommes des milliers », tient à préciser Rojda, désignant ses compagnes d’armes assises en tailleur autour d’elle. Un profond respect se lit dans le regard des combattants, hommes comme femmes, qui l’écoutent.

La chef, qui ne parle pas un mot d’anglais, rappelle que ce n’est pas la première fois dans l’histoire du peuple kurde que les femmes prennent les armes. « Pour nous, cela a une signification particulière. En nous défendant par nous-mêmes, nous prouvons que nous ne sommes pas juste destinées à accomplir des tâches ménagères ou à procréer », lance-t-elle en regardant ses jeunes camarades, comme pour s’assurer de leur approbation.

« Nous participons à cette opération pour en finir avec la barbarie de Daech et libérer les milliers de femmes yézidies qui ont été kidnappées dans les montagnes du Sinjar à l’été 2014. Pour nous, c’est un devoir de libérer les femmes de l’oppression subie par la mentalité qui prévaut au Moyen-Orient depuis des siècles. »

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Diriger aussi des combattants arabes ne lui pose aucun problème.

« Pour nous, il n’y a pas de différence entre les Kurdes, les Arabes, les Arméniens ou les Syriaques, cela est à la base même de notre idéologie. Raqqa est notre principal objectif car c’est le centre opérationnel de leur pseudo-califat. C’est dans cette ville qu’ils ont réduit nos femmes en esclavage, et nous devons combattre le mal à la racine. »


Le 19 décembre, les Unités de Protection du Peuple dans le village de She Bher, repris à Daech.

La ville de Raqqa, qui compte une écrasante majorité d’habitants arabes, acceptera-t-elle l’entrée de combattants kurdes inspirés de l’idéologie d’Abdullah Ocalan, le leader du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ? Rojda Felat l’assure, « pour les opérations contre Raqqa, plusieurs milliers de combattants arabes nous ont d’ores et déjà rejoints, nous les avons entraînés et armés. Lorsque Raqqa sera libérée des djihadistes, la ville et ses institutions seront gérées par les habitants. Nous avons déjà préparé la suite comme nous l’avons fait à Manbij après sa libération au mois d’août dernier ».

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La leader kurde explique imiter l’exemple de Leyla Qasim, figure de la résistance des Kurdes irakiens contre le parti Baas. Accusée de fomenter l’assassinat de Saddam Hussein, elle fut torturée et pendue en 1974, à l’âge de 22 ans, devant les télévisions nationales, comme un avertissement lancé à l’ensemble de la communauté kurde du nord du pays.

« La condition de la femme a beaucoup évolué dans notre territoire depuis le début de la révolution. Nous suivons le sentier tracé par les centaines de femmes qui ont lutté pour nos droits contre l’injustice. Nous continuerons leur lutte jusqu’à la mort s’il le faut. »

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Renoncer à sa vie personnelle.

Dans l’idéologie du PKK, lorsqu’une personne rejoint la guérilla, elle renonce à sa vie personnelle en adoptant un nom de guerre. Les combattants rompent avec leurs familles.

Il existe au sein de la guérilla une interdiction des relations dites « traditionnelles » entre hommes et femmes. Elle est justifiée par la volonté d’empêcher la reproduction de « vieilles structures sociétales ». Dans l’idéologie d’Ocalan, la possibilité de ne pas se marier est considérée comme une avancée pour l’émancipation de la femme kurde.

Chaque combattante est équipée d’une kalachnikov, de grenades et de munitions.

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Rojda Felat précise que ce combat pour la liberté ne concerne pas seulement sa communauté.

« Notre situation n’est pas encore parfaite mais, après la révolution, nous libérerons l’ensemble des femmes du Moyen-Orient ! »

La vie sous Daech : « Des gens sont décapités parce qu’ils ont un téléphone portable »

La vie sous Daech : "Des gens sont décapités parce qu'ils ont un téléphone portable"

Chasse aux cheveux courts, aux pantalons trop serrés, aux antiquités, à l’alphabet latin et aux éclats de rire… Récit de l’enfer quotidien que subissent les habitants de Mossoul, la capitale de l’Etat islamique en Irak.

Un bourdonnement vient trouer le silence minéral. Surgi de l’ouest, le chasseur bombardier effectue dans le ciel couchant des tours amples, puis de plus en plus serrés. D’abord lointain, le bruit sourd et monotone enfle, s’atténue, revient, avec, à chaque fois, davantage de force. Soudain, un boum retentit. Un coup sec, puissant. Pas de fumée visible. L’explosion se confond avec la poussière qui enveloppe un paysage de terre sèche. La fléchette grise disparaît par où elle est venue en laissant derrière elle un liséré laiteux.

« C’est comme ça nuit et jour, prévient Mgr Thimothius Moussa al-Shami, un évêque au visage broussailleux et souriant enserré dans une capuche noire brodée pareille à la coiffe d’un nourrisson. Parfois, les bombardements font trembler nos murs. » Il en faut davantage pour ébranler son monastère, l’un des plus anciens du monde chrétien. Semblable à un nid d’aigle avec ses remparts de pierres et ses fenêtres percées en meurtrières, il épouse le sommet couleur sienne du djebel Maqloub, la « montagne renversée« , appelée ainsi à cause de sa tectonique tourmentée.

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« Avant, Mossoul était plus éclairée »

Situé aux confins des zones de peuplement kurde et arabe, l’édifice, baptisé Mar Matta, du nom de son fondateur, saint Matthieu, un ermite syriaque du IVe siècle, surplombe l’un des principaux champs de bataille d’Irak. Au pied du massif s’étend la vallée de Ninive. Au milieu, masquée par la brume, se trouve Mossoul, capitale de l’Etat islamique (EI). En égrenant son chapelet, le prélat se félicite :

« Quatre kilomètres nous séparent du front, mais Daech n’est jamais parvenu jusqu’ici. Dieu et les peshmergas nous protègent. »

A l’entrée du sanctuaire, un combattant kurde, en treillis de l’US Army, monte une garde nonchalante devant une barrière et un élevage de lapins. Réduite à sept moines, cette communauté syriaque orthodoxe est surtout défendue par les avions de la coalition et une longue tranchée qui court en contrebas, flanquée de remblais et de projecteurs.

Les djihadistes tirent, de temps à autre, des obus de mortier. Sur la route en lacet qui mène à Mar Matta, on capte leur radio, Al-Bayan. Une station FM qui diffuse depuis Mossoul des chants guerriers entonnés d’une voix guillerette :

« Oh ! Les katibas, terrorisez l’ennemi. Oh ! Les Lions d’Allah, résistez ! Tout le monde doit entendre notre Allahou akbar ! »

A la nuit tombante, une fois la nappe de chaleur dissipée, les premières lueurs de la cité apparaissent. Ce sont d’abord quelques éclats dispersés, puis des milliers d’épingles qui scintillent à l’horizon. A la jumelle, on aperçoit même un feu passant au vert au centre d’une avenue. Mossoul forme un losange lumineux étiré le long du Tigre.

« Avant, elle était beaucoup plus éclairée », assure Elias Saadoun, le chauffeur du monastère. Selon lui, des quartiers entiers de l’agglomération sont privés d’électricité. Il converse parfois avec certains de ses habitants. « Des amis musulmans, précise-t-il. On était ensemble à l’armée. » L’Etat islamique ayant coupé les réseaux de téléphonie mobile, ils doivent se rendre sur une colline proche d’ici pour l’appeler.

« Ils me disent que la situation est très mauvaise, qu’ils manquent de tout. Ils voudraient partir, mais Daech les en empêche. »

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Les djihadistes accueillis en libérateurs.

Voilà maintenant deux ans, presque jour pour jour, que l’organisation islamiste contrôle la deuxième plus grande ville du pays après Bagdad. Une conquête effectuée presque sans coup férir, le 10 juin 2014. Trois semaines plus tard, c’est du haut de la chaire de la grande mosquée que le leader Abou Bakr al-Baghdadi a proclamé son califat de la terreur. Bâtie autour des ruines de l’antique Ninive, cette métropole de 2 millions d’habitants comptait jusque-là une majorité arabe sunnite, mais aussi de multiples minorités, chaldéenne, arménienne, kurde, turcomane, chiite…

Al-Baghdadi, le patron de Daech : calife de la haine

« C’était le cœur de la chrétienté en Irak« , soupire Mgr Thimothius, qui dit ignorer le sort réservé à ses nombreuses églises. As-Saha, le couvent des dominicains, aurait été détruit début mai. D’autres lieux de culte chrétiens serviraient de prison ou de commissariat.


Les djihadistes accueillis en libérateurs à Mossoul, en juin 2014. 

Farès Younan Sarman campe, avec sa mère impotente et ses deux sœurs, dans une cellule de Mar Matta. Auparavant, ce syriaque vivait à Mossoul et sillonnait le pays avec son camion pour vendre ses olives. Les combattants de Daech, affirme-t-il, ont été accueillis en libérateurs. Il se souvient de la joie de la population d’être délivrée d’une armée identifiée aux chiites, majoritaires dans le reste du pays, des artères débarrassées à coups de pelleteuse de leurs murs antiexplosion et de leurs blocs de béton disposés en chicane, des cadavres de policiers laissés dans les rues à titre d’exemple.

« Les gens dansaient devant les combattants de Daech, ils leur offraient des bonbons ou tuaient le mouton en leur honneur. Ils se préparaient aussi au pillage. »

Mossoul, juin 2014.

Un matin, il découvre la lettre « N » peinte sur sa porte. « N » comme « Nazaréen », un terme du Coran qui sert à désigner les chrétiens. Il apprend que l’un de ses voisins, un employé des pétroles, convoite son logement. « Il voulait le donner à son fils qui venait de se marier. » Il assiste à la destruction des croix et des statues de la Vierge juchées au-dessus des églises. Le 17 juillet 2014, l’EI annonce que les chrétiens ont vingt-quatre heures pour se convertir à l’islam ou quitter la ville, sous peine de mort. Le lendemain, Farès prend la route avec sa mère et ses sœurs. Au dernier barrage, ils sont dépouillés de leurs objets de valeur par les djihadistes.

« Ils ont même pris ma clé. Ils ont dit que ma maison appartenait dorénavant à l’Etat islamique. »

Le musée transformé en tribunal de la charia.

Lors d’une nouvelle poussée de Daech vers le nord, Myriam (1) prend la fuite trois semaines plus tard, en même temps que tous les autres chrétiens de son village de Karam Leish. « On a tout laissé, raconte-t-elle. On est partis avec seulement nos habits sur le dos. » Elle travaillait comme conservatrice au musée de Mossoul. Un bâtiment saccagé. Des démolitions filmées et mises en ligne comme autant de hauts faits.

Les images diffusées en février 2015 montrent des bandes d’iconoclastes en chemise afghane qui attaquent à coups de masse et de marteau piqueur des statues et bas-reliefs datant des périodes assyrienne ou hellénique. Beaucoup de copies en plâtre, la plupart des originaux ayant été transférés à Bagdad à partir de 2003. « Mais il restait 110 pièces massives et intransportables », se lamente-t-elle.


Le saccage du musée, dans une vidéo postée par l’Etat islamique.

Le musée a été transformé en tribunal de la charia. On y collectionne dorénavant les mises à mort, les amputations et autres sévices. Les châtiments pleuvent. En premier lieu contre les femmes. Surprises avec un hijab pas assez long ou des mains dénudées, elles encourent la cravache. « Chaque parcelle du corps doit être recouverte », indique Myriam. Même dissimulées sous les trois couches de voile obligatoires, elles doivent surveiller leur comportement. « Si tu éclates de rire en public, c’est cent coups de fouet », rapporte la conservatrice réfugiée à Erbil, la capitale de la région du Kurdistan.

Cette fureur dévastatrice n’épargne pas les lieux saints musulmans. Au nom du refus de toute forme d’idolâtrie, les mausolées des prophètes Yunès (Jonas), Chîth (Seth) et Jirgis (saint Georges) sont dynamités dès juillet 2014. En décembre de la même année, c’est au tour de la bibliothèque de l’université de partir en fumée. Maan al-Zakariya, 72 ans, pleure la mort de sa ville, à laquelle il a consacré un dictionnaire historique. « C’était le carrefour de toutes les civilisations, le berceau de l’écriture ! » s’écrie cet intellectuel sunnite. La veille de la chute de Mossoul, il a filé lui aussi vers le nord. Il n’a pu emporter qu’une poignée d’ouvrages. « Les manuscrits très anciens de mon grand-père ont été brûlés lors d’un autodafé public. »

Le sauveur des manuscrits face à Daech

Aujourd’hui, rares sont ceux qui parviennent à sortir de la nasse. Pour ses habitants, Mossoul est devenu une vaste prison. Après plusieurs tentatives avortées, Mohammed, 21 ans, a réussi à s’évader, il y a deux mois, caché à l’arrière d’un camion. Il lui a fallu vingt-deux jours pour rejoindre Erbil, à l’issue d’un très long périple, via la Syrie voisine.

Par peur de représailles contre les siens, il ne veut pas être photographié ni donner son nom de famille. Etudiant en informatique, de confession sunnite, il habitait le centre-ville, près de l’université. Il n’allait plus à ses cours et évitait de circuler dans les rues. Il décrit un système de plus en plus répressif, sanglant, jusqu’à l’absurde, comme une machine devenue folle.


Une décapitation sur une place, dans une vidéo postée par l’EI. 

Il n’a été arrêté qu’une seule fois. En octobre dernier. Par une patrouille de la Hisbah, la police religieuse. « Ma barbe n’était pas assez longue. Ils m’ont emmené dans une église qui leur sert de commissariat, près du vieux souk. » Verdict ? Quarante coups de fouet. Les habitants doivent aussi porter des cheveux longs, des pantalons larges et coupés à mi-mollet, à l’instar de leurs maîtres. Il explique :

« Afin d’échapper aux drones, ils essaient de se fondre dans la masse et obligent tout le monde à leur ressembler. »

Pour les mêmes raisons, les djihadistes se déplacent en taxi plutôt qu’avec leurs véhicules et changent régulièrement de domicile « car ils savent que la coalition met parfois trois à quatre semaines avant de valider une cible ».

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Epoux déclarés adultères et lapidés.

Ces derniers temps, l’aviation occidentale s’en prend aux dépôts d’argent dans le but d’assécher les finances du groupe terroriste. Plusieurs établissements ont été détruits : la Banque centrale, l’agence Al-Rafidain 112, la Rachid Bank, la banque Walid… Selon Mohammed, ces raids aériens provoquent des dommages considérables. Notamment humains.

« A la mi-novembre 2015, un missile a atteint une maison où Daech entreposait des explosifs dans le quartier de Sab’atash Tamouze. Il y a eu une cinquantaine de morts. » En mars, peu avant son départ, nouvelles frappes. Cette fois contre son université. Plusieurs départements sont touchés, dont celui du génie civil. « On y fabriquait des armes », affirme l’étudiant. Encore des victimes dites collatérales. « Quatre ou cinq », d’après lui. Dont le doyen de sa faculté et son épouse.

Plus les bombardements s’intensifient, plus les partisans de Daech se montrent implacables. « Ils se cachent quand ils entendent un drone. Après, ils se vengent sur la population. » Les exécutions deviennent routinières. « Beaucoup de gens sont décapités simplement parce qu’ils possèdent un téléphone portable. On les accuse de transmettre des renseignements à la coalition. »

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Mohammed évite d’assister à ces shows macabres. « La dernière fois, c’était en janvier. Il s’agissait d’un couple accusé d’adultère parce qu’ils avaient été mariés devant un cheikh traditionnel, sans l’accord de Daech. » L’homme et la femme ont été lapidés au stade Al-Jazair, sur la rive gauche.

La vie quotidienne se dégrade rapidement. « Tout est très cher, et l’argent manque », insiste-t-il. Il n’y a aucune activité économique, et voilà dix-huit mois que les fonctionnaires ne perçoivent aucun salaire de Bagdad. Un tir contre un transformateur a entraîné une panne générale.

« Depuis, on n’a plus que deux heures d’électricité par jour. »

Dans le même temps, la liste des interdits ne cesse de s’allonger. Récemment, pour mieux contrôler les esprits, la police religieuse a entrepris de confisquer les décodeurs satellite.

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« Les gens sont terrifiés »

Les Mossouliotes supportent de plus en plus mal le joug islamiste. Sont-ils pour autant enclins à la révolte ? Le jeune homme en doute : « Les gens sont terrifiés. » Malgré les privations, les djihadistes conservent aussi dans cette ville très conservatrice de nombreux partisans.

« Ils se concentrent sur les jeunes et les pauvres. C’est du lavage de cerveau. »

Ils jouent en particulier sur la peur de l’après. Leur département médias projette dans les quartiers, sur des écrans géants, des images des exactions commises l’an dernier par les milices chiites lors de la reprise de Tikrit.

Athil al-Nujaifi parie quant à lui sur un soulèvement de la population. « Mossoul ne peut être libéré que par ses habitants », martèle son ex-gouverneur. Chassé du pouvoir par Daech, ce grand notable arabe, longtemps baassiste, a établi son siège au English Village, un luxueux complexe résidentiel à Erbil, avec berlines, gardes, portique métallique et pupitre pour ses discours devant la presse. Depuis son exil doré, il a levé une armée privée de quatre mille hommes et affirme disposer de « cellules » à l’intérieur de la ville prêtes à l’action et qui le renseignent régulièrement.

L’Etat islamique perd-il du terrain ?

L’EI commence, selon lui, à être à court d’argent. « Ses combattants ne touchent plus que 50 dollars par mois, dit-il. Au début, ils étaient payés dix fois plus. » Pour lever des fonds, l’organisation recourt à toutes sortes de moyens. Elle loue les nombreux logements inoccupés aux centaines de milliers de réfugiés sunnites qui ont fui les combats à Ramadi, Tikrit et, maintenant, Fallouja. Elle revend aussi aux enchères sur les bords du Tigre, près des ponts Qadim et Joumouriya, les biens volés aux chrétiens, policiers ou militaires.

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Obus chimique, chlore et gaz moutarde.

Dernièrement des graffitis seraient apparus sur les murs de la ville. Des « M », tracés furtivement la nuit venue, qui signifient moukawama, « résistance ». Athil al-Nujaifi s’en déclare convaincu : ses ex-administrés sont mûrs pour se rebeller « à condition d’avoir la garantie qu’il n’y aura pas d’actes de vengeance ou d’affrontements sectaires après la chute de leurs oppresseurs ».

Une levée de terre en travers de la route, une casemate composée de parpaings et de sacs de sable, une poignée de soldats écrasés par la chaleur. L’assaut contre la capitale de l’Etat islamique partira de ce poste avancé, situé à 50 kilomètres plus au sud, entouré de villages fantômes et d’herbe rase. « Ça prendra du temps, prévient le capitaine Haydar de la 91e brigade de l’armée irakienne. Car entre ici et Mossoul, il y a beaucoup de localités. »

Tout paraît calme, mais on apprend que près de là un obus chimique vient d’être tiré sur un autre point du front. Du chlore ou du gaz moutarde, des armes artisanales de plus en plus utilisées par Daech. L’ennemi se révèle d’autant plus dangereux qu’il est « très affaibli », selon l’officier. En deux ans, l’EI a cédé 45% du terrain qu’il occupait en Irak.


Un poste avancé de l’armée irakienne à Al-Bourj, à l’ouest de Makhmour.

Makhmour, le chef-lieu voisin, est devenu « le QG des forces chargées de libérer Mossoul », proclame le général irakien Firas Bashar. Aux 4.500 hommes dépêchés par Bagdad, équipés de Hummer rutilants, s’ajoutent des milliers de peshmergas, des tribus arabes organisées en milice et 200 marines américains très discrets, regroupés dans une base hérissée d’antennes, surnommée par dérision « Coca-Cola ». Une force qui a permis de reconquérir plusieurs villages ces derniers mois mais insuffisante pour s’emparer d’une cité de 2 millions d’habitants, défendue par près de 10.000 djihadistes.

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Premiers gestes d’hommes libres.

Plus au nord, le camp de Dibaga explose avec ses 4.000 Arabes sunnites entassés dans des cases bâties à l’identique. Avec le temps, des carrés de parpaings, recouverts de tôle ondulée, ont remplacé les tentes en toile. Un don des Emirats arabes unis. A chaque avancée de la coalition, les déplacés venus de la plaine affluent par centaines dans ce centre d’accueil. Faute de place, les derniers arrivants campent dans la mosquée.

Parmi eux, Wadbane et Mourad, 24 ans chacun. Pour échapper à Daech, les deux amis ont, cinq jours plus tôt, quitté leur hameau de Tel Nasser, abandonné leurs proches, traversé le Tigre à la nage et franchi un champ de mines.

Déplacés du camp de Dibaga, au sud de Mossoul, en mai dernier.

Le premier a décidé de partir après avoir reçu dix coups de bâton dans le dos. Son crime ? Un pantalon de jogging jugé trop serré et un sigle imprimé en lettres latines sur son tee-shirt. Un habillement qu’il a tenu à endosser pour son évasion. Il s’insurge :

« On était punis pour un rien. On n’avait pas le droit de fumer. Et on mourait de faim. »

Le second, une casquette kaki vissée à l’envers, a dû s’acquitter d’une amende de 3.000 dollars pour se faire pardonner son passé de soldat.

« Après mon départ, ils ont fouetté mon frère et pris notre maison », raconte Mourad. Heureusement, il avait emporté son portable. « Je le cachais dans le tableau électrique. » A Tel Nasser, cinq habitants ont été exécutés parce qu’ils avaient été trouvés avec un téléphone doté d’une carte SIM.

« Tout le village doit assister à l’exécution, même la famille. Ils déploient leur drapeau, tirent une balle dans la tête du condamné, puis lisent une sourate du Coran. Ils prétendent agir au nom de l’islam, mais ils n’y connaissent rien. »

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Mourad dit vouloir réintégrer l’armée nationale pour se « battre ».

IRAK. « Qui succédera à Daech une fois Mossoul libérée ? »

Dans une des maisons du camp, sept garçons sont assis en tailleur autour d’un tapis en polypropylène. Des paysans, pour la plupart, issus de différents villages, autour de Mossoul. Pas de nom, par mesure de sécurité. Ils fument clope sur clope, comme pour rattraper le temps perdu.

Ils portent tous des maillots de foot, aux couleurs du Barça, de Manchester United ou de la Juve – des tenues formellement interdites sous Daech –, hormis le plus âgé, vêtu d’une djellaba grise. A l’exception de cet ex-employé du ministère du Commerce, ils arborent la même coiffure, une coupe dite hipster, bouffante au sommet, rasée sur les tempes. Allumer une cigarette, tailler leur barbe et leurs cheveux longs ont été leurs premiers gestes d’hommes libres.


Camp de Dibaga, mai 2016.

« On ne pouvait fumer qu’en cachette. S’ils sentaient une odeur de tabac ou découvraient un mégot, tu devais payer 50.000 dinars [près de 40 euros]« , dit l’un. « Quand ton pantalon n’avait pas la longueur requise, ils le découpaient aux ciseaux », ajoute un autre. « Tout était un prétexte pour nous pressurer », lance un troisième.

2 et 2 ? « Inchallah 4 »

Selon eux, l’EI multiplie les peines pécuniaires afin de renflouer ses caisses et de forcer la population à le rejoindre. Même moins rémunérés, ses affidés conservent de multiples avantages. L’ancien fonctionnaire poursuit :

« Ils reçoivent des produits de première nécessité et des bouteilles de gaz gratuitement, alors qu’on doit aller ramasser des brindilles pour cuisiner. Tout leur est permis. Ils tuent et pillent comme ils veulent. »

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Les visages ne se détendent qu’à l’évocation du nouveau curriculum imposé par l’Etat islamique. Un manuel scolaire gravé sur CD que les parents devaient eux-mêmes imprimer. Ces villageois éclatent de rire au rappel des cours de maths. L’homme à la djellaba s’esclaffe :

« Ils ont supprimé le signe plus parce que c’est une croix ! »

Sous Daech, la conjonction wa, « et » en arabe, remplace dorénavant le symbole cruciforme. « A l’addition de 2 et 2, il fallait répondre ‘Inchallah 4′ », s’amuse un jeune. Pas de résultat définitif, sans doute parce qu’en ce bas monde il n’y a de certitude que divine. Chacun y va de son exemple. L’un dit :

« L’un des problèmes à résoudre était : ‘Vous avez 10 balles de fusil et 5 apostats, si vous tuez les apostats, combien vous reste-t-il de balles ?' »

Un autre s’écrire :

« En trois cours, un élève devient terroriste ! »

Toutes les personnes interrogées pour cette enquête l’affirment : la plupart des établissements scolaires sont fermés. Les parents refusent d’y envoyer leurs enfants par peur de les voir endoctrinés, mais aussi enrôlés dans la milice. Petit, efflanqué, flottant dans sa chemise mauve, Mohammed faisait le ménage à l’école Al-Qudwa al-Hassan à Mossoul :

« Quand ils ont commencé avec leur méthode d’une balle et d’une balle, chacun est venu reprendre son gosse. On était six employés. Ils nous ont tous chassés à coups de pied, sauf un qu’ils ont gardé pour faire le thé. »

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Bon comme un citron bien rond !

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