Retour, ce samedi matin, sur les lieux des drames.
Dans une ville calme, au milieu d’habitants hésitant entre dignité et colère.

Au lendemain des attentats à Paris.

Le samedi matin, il est toujours plus aisé de rouler dans Paris que le reste de la semaine.
La circulation des avenues est fluide, les feux verts s’enchaînent. Opéra, les grands boulevards, République, puis le boulevard Voltaire: et là, stop.

Des camions satellites garés les uns derrières les autres, des plaques anglaises à l’arrière des minibus, des barrières en fer, des reporters, des CRS.
Le Bataclan, ses 82 morts et ses dizaines de blessés, sont à quelques mètres.

BATACLAN

Sur le trajet, quelques petits indices signifient que nous sommes à nouveau dans un jour peu ordinaire.
Un parfum d’après 7 janvier flotte : les automobiles accordent la priorité aux deux-roues. Et vice versa.
La boulangère, après avoir servi un pain au chocolat, appuie sur l’interphone pour joindre son mari resté au sous-sol à faire du pain: « Tu peux remonter, je crois qu’on va fermer, il n’y a personne. »
A la sortie d’une bouche de métro, deux couples d’adolescent s’enlacent avec force.
Peut-être cela n’a-t-il aucun rapport?
Leurs visages semblent pourtant exprimer plus de tristesse que d’amour.

« Vos guerres, nos morts » écrit sur des morceaux de papiers sur le pavé ensanglanté le 14 novembre 2015 près du Bataclan à Paris

« Les potos de pogo partis cette nuit »

A la mairie du XIe arrondissement, que l’on peut atteindre après avoir contourné l’imposant périmètre de sécurité autour du Bataclan, un policier municipal bloque l’accès du bâtiment.
A l’intérieur, des riverains viennent se réconforter au sein de la cellule psychologique montée à la hâte dès 8h.
« Il y a aussi des gens sans nouvelle de leurs proches », complète le fonctionnaire.
Devant la maire, une table en plastique, décorée d’un bouquet de fleurs, accueille un cahier à petits carreaux où chacun peut écrire ce qu’il souhaite. Un quinquagénaire au look grunge, entouré de chiens, griffonne sans ponctuation:
« A tous les potos de pogo partis cette nuit vous serez toujours présents dans nos coeurs. » Signé Punky.

Pour rejoindre les deux restaurants où ont eu lieu vendredi, en terrasse, 12 atroces assassinats, il faut emprunter, depuis la place Voltaire, le boulevard du même nom. Puis bifurquer sur le boulevard Richard-Lenoir.
Au niveau du McDonald, la police bloque le passage. La vitrine vitrée du fast food a cédé la place à une bâche noire.
Plus haut, à l’abri des regards, s’échappe la rue de la Fontaine au roi, siège de la pizzeria Casa Nostra, autre lieu d’horreur, autre trottoir transformé en mouroir pour cinq victimes.
En longeant le canal Saint-Martin, quelques joggeurs apparaissent. Il n’y a pas peu de monde dans la rue.
Il n’y a en revanche aucun bruit.

Au Carillon, l'un des restaurants cibles des attentats du vendredi 13. REUTERS/Christian Hartman - RTS6ZFN

Au Carillon, l’un des restaurants cibles des attentats du vendredi 13.

Après quelques centaines de mètres, tourner à droite, traverser le canal sur un pont de cinéma, pour tomber sur un croisement si large qu’il offre les dimensions d’une petite place.
Un espace bordé par l’hôpital Saint-Louis, le restaurant italien Maria Louisa, et deux lieux meurtris à tout jamais:
le Petit Cambodge et le Carillon.
Le premier est un excellent restaurant asiatique, le second une brasserie où le faible prix de la pinte de bière et la largeur de la terrasse attirent en masse les désireux d’amusement et de socialisation.

Il y a eu plus de dix morts. Aucun cordon de sécurité n’empêche de circuler.
Ni de marcher sur la sciure de bois recouvrant le sang versé et le sol.
Beaucoup de gens et peu de journalistes, en ce début de matinée, se serrent pour admirer les petites bougies résister au vent et les bouquet de fleurs s’incliner devant la mémoire des insouciants, des innocents, des disparus.
Au moment des premiers coups de feu, un voisin anonyme se trouvait au Franprix attenant au Petit Cambodge.
Aujourd’hui, il décrit à toute vitesse l’instant vécu avant son sommeil :

« Nous étions 50 dans le magasin. Les gens ont d’abord cru à des pétards. Moi j’ai dit au patron: ‘Baissez le rideau, c’est pas des pétards, c’est une fusillade!’ En fait, ce n’était pas des rafales, c’était du coup par coup. Après je suis sorti, il y avait des gens à terre, en sang, et une fille au milieu de la route, allongée, à cheval sur un Velib’. »

Au Carillon, le 14 novembre.

Au Carillon, le 14 novembre.

Un groupe se forme devant le Carillon.
Une caméra belge filme la discussion entre un jeune d’origine maghrébine et une vielle dame blanche.
Ils s’engueulent. « Arrêtez de dire que c’est des musulmans, ce sont juste des fous », proteste le garçon.
« Pourquoi tous les imams de France n’appellent-ils pas tous à manifester? » demande la femme.
« Pourquoi à chaque fois qu’il se passe une atrocité les terroristes se réclament de l’islam? » insiste un monsieur. Quelques minutes plus tard, une quadragénaire tient à évoquer sa judéité.
Elle ouvre son manteau, saisit son étoile de David, et lâche:
« Pour les juifs de France, c’est le début de la fin. »

Le calme revient. Deux filles se font un câlin.
Beaucoup devisent de la riposte à mettre en place, mais on se montre soucieux du sens de la mesure.
Un trentenaire que l’on devine client potentiel des deux établissements saccagés arrive du haut de la rue.
Il dépose un petit bouquet devant le rideau de fer du Petit Cambodge; un second sur le pas de la porte du Carillon.
Il s’appelle Matthieu, il sait que sous la sciure, ce pourrait être son sang.
Il explique par la normalité son geste du jour, il a les yeux gonflés: il a, comme tout le monde, regardé la télévision cette nuit jusqu’à trois heures du matin.
Il s’effondre au milieu de sa première phrase où il est question de ses « potes… qui auraient pu… » se trouver là.
Une Ferrari décapotable tente de se faire un passage parmi les badauds. Bizarre.

Des personnes devant le bar du Carillon dans le 10e arrondissement à Paris, le 14 novembre 2015

Des personnes devant le bar du Carillon dans le 10e arrondissement à Paris, le 14 novembre 2015

En longeant à nouveau le canal Saint-Martin, il est possible de gagner la rue de Charonne, énième lieu de fusillade d’un vendredi 13 novembre de malheur: les autorités y annoncent 19 morts.
Devant le McDonald, la police scientifique et judiciaire s’active toujours.
En tendant l’oreille, il est facile de se rendre compte que les gens ne parlent que de ça.
Des bribes de conversation obtenues en croisant des marcheurs en sens inverse, pendus à leur téléphone.
Des « il a été opéré d’urgence », « Maria avait une copine qui bossait au bar du Bataclan hier », « Je suis sur le Canal là, ils ont bouclé le quartier », « les policiers étaient sur les dents hier soir, ils braquaient la moindre voiture qui s’arrêtait ».
Sur le boulevard Richard-Lenoir, un photographe saisit de près un gros impact de balle totalement isolé, sur la devanture d’un magasin. Sur le parvis de la mairie du XIe, des gens bien habillés attendent de pouvoir entrer pour un mariage.
Bizarre.

Rue de Charonne, les policiers ont dressé une frontière.
On aperçoit seulement un fourgon policier au loin, autour duquel tournent des hommes ou des femmes vêtus d’une combinaison blanche. Des habitants de la rue obtiennent de pouvoir aller et venir.
Une jeune fille brune d’une trentaine d’années, elle, souhaite juste récupérer le numéro de téléphone d’un centre d’assistance: « Je n’ai pas de nouvelle de ma cousine, mais je suis sûre qu’elle était là. »
A son côté, son père. Silencieux, abattu, triste. Dépassé.

+ Plus d’actualité sur : Attentats du 13 novembre à Paris

4312287933_37c09e6291_b

Bon comme un citron bien rond !

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :