L’OMS décrète la fin des chaînes connues de transmission du virus à fièvre hémorragique en Afrique de l’Ouest.
Mais les leçons de la crise ont-elles été tirées ?
Plus de deux ans après l’apparition de la plus grave épidémie de l’histoire d’ , l’Afrique de l’Ouest a enrayé «toutes les chaînes connues de transmission» du virus à fièvre hémorragique, a assuré hier l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Une maladie dévastatrice au bilan, très sous-estimé, de 11 315 morts pour 28 627 cas officiellement recensés. Identifié en décembre 2013 à Guéckédou, en Guinée forestière, sur un enfant de 2 ans, Ebola a concentré la quasi-totalité de ses cas dans trois pays: la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia. Les plus pauvres de la région, les plus fragilisés.
Après la Sierra Leone le 7 novembre, puis la Guinée le 29 décembre, le Liberia vient, ce 14 janvier 2016, de passer 42 jours, soit deux fois la durée d’incubation maximum de 21 jours, depuis le second test sanguin négatif sur le dernier patient. Ce n’est pas encore la fin de l’épidémie. Les pays doivent encore passer le cap de la «surveillance renforcée» de 90 jours pour qu’elle soit décrétée. Si un seul nouveau cas est détecté, il faudra reprendre à zéro tout le processus.
«Le risque est réel car le virus persiste dans certains liquides corporels de survivants, notamment dans le sperme, où il peut demeurer jusqu’à 9 mois, parfois 12, voire plus, rappelle Augustin Augier, de l’ONG Alima. Il peut aussi persister chez des porteurs sains.»
Le Liberia s’est ainsi cru débarrassé de l’épidémie en mai, puis en septembre, avant de déchanter.
Terrible taux de létalité
«Notre travail n’est pas terminé, et la vigilance reste de mise pour prévenir de nouvelles flambées», assure Margaret Chan, directrice générale de l’OMS. Dix résurgences ont déjà été enregistrées par le passé pour cette maladie apparue il y a quarante ans. «Nous sommes à un moment critique de l’épidémie d’Ebola alors que nous passons de la prise en charge des cas et des patients à la prise en charge du risque résiduel de nouvelles infections», ajoute Bruce Aylward, représentant spécial de l’OMS pour la riposte à Ebola. Directeur d’études à la Fondation Médecins sans frontières, Jean-Hervé Bradol confie, lui, que «si on a enfin passé un cap important, des petits foyers d’Ebola peuvent réapparaître. Mais des test-diagnostics encore plus performants, et des vaccins prometteurs pourraient changer la donne».
Quant à l’évolution de traitements destinés à de nouveaux malades, s’il y en a, les experts sont modestes. Ou lucides. «Cette épidémie a eu un taux de létalité de plus de 40%, on n’a jamais vu ça», admet Bradol. Le 7 janvier, MSF et Epicentre ont publié dans le New England Journal of Medicine les résultats d’une étude rétrospective menée dans un centre de prise en charge d’Ebola géré par MSF à Foya, au Libéria, en 2014. Et qui montre une diminution du risque de mortalité chez les patients Ebola ayant reçu une combinaison de médicaments contre le paludisme. «Une étude observationnelle, une piste de recherche à exploiter, mais rien de plus», note Jean-Hervé Bradol. Dont l’ONG, bien seule au début de la lutte, a déployé, au pic de l’épidémie, jusqu’à 325 expatriés et environ 4000 personnels… La mobilisation «n’a pas seulement été limitée par le manque de moyens internationaux, elle l’a également été par le manque de volonté politique de déployer rapidement une aide», résume la présidente de MSF, Joanne Liu. OMS en tête… bien que l’organisation onusienne assure que c’est aux Etats qu’incombe la lutte…
Si les leçons sont tirées…
Reste que ce n’est que lorsqu’il y a eu des rapatriements sanitaires de malades aux Etats-Unis que la prise de conscience est intervenue; avec notamment la création d’une mission onusienne dédiée, l’Unmeer (Minuauce en français, la mission des Nations unies pour l’action d’urgence à Ebola). Comme l’a confié à Libération David Nabarro, représentant spécial de l’ONU,
«le plus gros échec collectif dans la lutte contre Ebola,c’est de ne pas avoir associé plus tôt les communautés, de ne pas avoir mis le paquet sur l’appui d’ethnologues, de sociologues, de solutions sanitaires durables. Mais ce n’était pas simple : la virulence et la violence de l’épidémie ont pris tout le monde de court.»
Difficile d’évaluer, du reste, le rôle de la mobilisation internationale dans la pause actuelle de l’épidémie.
«La réalité, c’est que l’on ne sait pas, dit Jean-Hervé Bradol. Les messages sur les mesures d’hygiène ou limiter les rituels funéraires, certainement payé. Mais quant aux mesures médico-sanitaires…»
L’excellent rapport «The politics behind The Ebola Crisis», de l’International Crisis Group (ICG) paru le 28 octobre 2015, le rappelle justement: la propagation du virus est due «non seulement à la faiblesse de la surveillance épidémiologique et d’un système de santé déficient», à des ressources «extrêmement limitées» ou à la «mobilité des populations», mais aussi au «manque de confiance dans l’Etat, ses institutions et ses leaders». Et d’ajouter: «Sauf si ces leçons sont tirées sur tous ses sujets, la prochaine crise sanitaire régionale sera aussi coûteuse et dramatique que l’épidémie Ebola et entraînera un risque similaire d’instabilité internationale.»
Leçons tirées, face à une épidémie qui a sans doute fait encore plus victimes indirectes, faute d’accès aux soins (paludisme non traité, mortalité materno-infantile, accidents de la route, etc.) ? On peut en douter. «On parle beaucoup de remettre à flot des systèmes de santé déjà en faillite avant Ebola, mais derrière les milliards de dollars d’aide promis, pour la plupart du recyclage, on risque de revenir au business as usual», déplore Augustin Augier, de l’ONG Alima. Les pays donateurs ont bien promis 5 milliards de dollars d’aide, et Guinée, Sierra Leone ou Liberia se sont bien engagés à doper leur budget sur la santé ? «Mais l’infrastructure ne suffira pas, ajoute le spécialiste d’Alima. Il faut faire marcher les services de santé. Et donc investir durablement dans les dépenses de fonctionnement.» Sinon, d’autres épidémies, d’Ebola ou d’autres virus, sont à craindre. C’est tout l’enjeu de la crise post-Ebola : tirer, certes, les leçons sanitaires, sociales et politiques d’un tel événement. Et surtout s’interroger sur les modèles de développement des pays les plus vulnérables.