Nicolas Tenzer, professeur à Sciences Po, accuse la Russie de vouloir « tuer tout ce qui peut être tué » à Alep. Il explique que « seuls les États-Unis peuvent intervenir, l’Europe ne peut vraiment rien faire ».
Alep est sous les bombes des avions russes et du régime de Bachar Al-Assad. La communauté internationale semble impuissante alors que les habitants de la ville du nord de la Syrie appellent à l’aide. Nicolas Tenzer, président du Think Tank Cerap et professeur à Sciences Po, a accusé mardi 4 octobre la Russie de vouloir « tuer tout ce qui peut être tué ». Il a dénoncé la « faillite stratégique des Etats-Unis ».
Dans une tribune vous évoquez une« guerre d’extermination »…
Nicolas Tenzer : C’est bien une guerre d’extermination, on frappe délibérément. Les frappes russes et les frappes du régime visent des enfants, des civils, des marchés, des hôpitaux, des sauveteurs. Il y a une volonté de tuer tout le monde. De tuer tout ce qui peut être tué (…) Cela renvoie la communauté internationale à une impuissance totale, qui correspond à une réalité. Face à une puissance aussi forte que la Russie, seuls les Etats-Unis peuvent intervenir, l’Europe ne peut vraiment rien faire.
Les Etats-Unis ont suspendu les discussions bilatérales avec la Russie. Qu’est-ce que cela va changer ?
Cela ne change absolument rien pour les Russes. Toutes les discussions, toutes ces négociations dans lesquelles les Américains n’auraient jamais dû s’engager, n’ont abouti à rien, sinon à renforcer les positions russes. C’est le cas de la dernière trêve [le 12 septembre], qui n’a pas été plus appliquée que les autres. C’est une faillite stratégique des Etats-Unis.
Obama n’aurait-il pas raté le coche en 2013 ?
François Hollande avait pris la bonne décision. (…) Il y avait des crimes contre l’humanité qui avaient été commis (…) Il fallait y aller, Barack Obama avait donné son accord et, on le sait, il l’a retiré après. Ensuite, il s’est enlisé dans des négociations sans aucun sens. Concrètement, chaque seconde, chaque minute, chaque mois qui passe, ce sont des milliers voire des centaines de milliers de morts.
Comment empêcher que le massacre continue en Syrie ?
La seule solution, ce n’est pas d’armer les rebelles, c’est d’empêcher que les avions de la Russie et du régime d’Assad survolent Alep et les autres villes. (…) C’est d’empêcher qu’ils puissent décoller et, donc, prendre le risque d’une confrontation avec la Russie. Ce qui se passe en Syrie actuellement est peut-être le pire évènement depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a eu des crimes bien pires en nombre de victimes, mais là c’est un changement stratégique. Pour la première fois, on a un membre permanent du Conseil de Sécurité qui est un État criminel. On est face à un criminel de guerre. Il faut le dire en ces termes. On ne peut pas dire : « On va négocier avec Poutine ». C’est quelqu’un qui a du sang sur les mains.
Pourquoi la bataille d’Alep est-elle si importante ?
Cette ville du nord de la Syrie est sous un déluge de feu des forces aériennes russes et syriennes depuis plusieurs jours. Les médecins sur place décrivent une situation critique. Franceinfo explique les raisons de cet acharnement.
Les Nations unies y évoquent des « crimes de guerre » et « la plus grave catastrophe jamais vue en Syrie ». La ville d’Alep est toujours sous le feu nourri des forces aériennes russes et syriennes, jeudi 29 septembre. La veille, les deux principaux hôpitaux de la ville ont été bombardés. « Je pense que c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’il y a une vraie volonté de détruire les hôpitaux de cette façon-là », explique Oubaida Al Moufti, vice-président de l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM).
Depuis plusieurs semaines, Alep est au cœur de toutes les discussions diplomatiques et la cible principale des manœuvres militaires. On vous explique pourquoi la bataille d’Alep représente un enjeu majeur.
Parce qu’Alep est la 2e ville du pays.
Au niveau démographique, elle était la cité la plus importante de Syrie avec 2,9 millions d’habitants intra-muros, quand Damas n’en compte que 1,5 million. L’agglomération de la capitale est cependant plus développée avec 5 millions d’habitants.
Alep était également l’un des poumons économiques du pays, porté par une forte activité industrielle. « C’est la capitale industrielle de Syrie et la principale plaque tournante pour le commerce agricole », expliquait Jihad Yazigi, rédacteur en chef du bulletin économique en ligne The Syria Report.
Avant le début du conflit, la zone industrielle de la ville appelée Cheikh Najjar, espérait même devenir la plus grande du Moyen-Orient.
Parce que la ville est un haut-lieu historique.
« Alep est classée au patrimoine mondial de l’humanité car c’est l’une des plus anciennes citées au monde. Elle était déjà habitée en 5 000 avant Jésus-Christ si l’on en croit des tablettes cunéiformes, la première forme d’écriture de l’humanité ».
La ville était une importante destination touristique où l’on se pressait pour admirer, entre autres, la citadelle du XIIIe siècle, la Grande Mosquée du XIIe siècle, ainsi que les influences des différentes populations qui l’ont dominée :« Des Hittites, des Assyriens, des Arabes, des Mongols, des Mamelouks et des Ottomans », énumère l’Unesco.

Après cinq ans de conflit, la ville est méconnaissable, comme l’a constaté une équipe de France 2 qui s’est rendue dans le quartier historique, en janvier. La mosquée a notamment perdu son dôme et le vieux souk a été dévasté.
//embedftv-a.akamaihd.net/02fe15349a42c518f6ecf465004f9947<br /><a href= »http://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/document-france-2-syrie-au-coeur-de-la-vieille-ville-d-alep-ravagee-par-la-guerre_1284019.html » target= »_blank »>Syrie : au coeur d’Alep, ravagée par cinq ans de guerre</a>
Mais même en ruines, difficile d’imaginer Bachar Al-Assad laisser ce joyau historique aux mains des rebelles ou d’autres factions.
Parce que sa situation géographique est stratégique
La ville, située dans le nord-est de la Syrie, « est la voie de passage la plus directe de la Méditerranée vers la Mésopotamie ».
Concrètement, elle est un carrefour routier et ferroviaire de toute la région puisqu’elle se trouve à équidistance de l’Euphrate et de la côte méditerranéenne, et à seulement 45 km de la Turquie, pays par lequel s’approvisionnent les rebelles.
Parce que Bachar Al-Assad et les rebelles ont besoin d’Alep pour exister.
Depuis 2012, la ville est divisée entre quartiers sous le contrôle du régime, à l’Ouest, et quartiers aux mains des rebelles, à l’Est.
« C’est en gardant le contrôle d’Alep que le pouvoir de Damas peut entretenir la prétention d’être légitime. Cela permet à Bachar Al-Assad de donner l’illusion de ne pas seulement régner sur une petite partie du territoire », estime Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l’université d’Édimbourg.
La ville est tout aussi importante pour les rebelles. Elle est d’ailleurs présentée comme la capitale de la révolte. « C’est le fait de contrôler la moitié de cette ville, la seconde du pays, qui leur a permis de prétendre à être autre chose qu’une révolte rurale et périphérique », explique également Thomas Pierret.
Le régime de Damas fait face à une forte résistance des rebelles et doit réaffirmer son autorité car il ne contrôle plus que 30% ou 40% du territoire syrien original, indique Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient, et chargée de cours à Sciences Po.
Si l’armée de Bachar Al-Assad arrivait à reprendre Alep, cela voudrait dire qu’elle est en train de gagner. Et cela serait une victoire car elle n’a pas enregistré de succès depuis des mois et des mois.
Autrement dit, si les forces loyales à Bachar Al-Assad venaient à simposer à Alep, cela sonnerait le glas de la rébellion syrienne, déjà affaiblie par la montée en puissance des groupes jihadistes.
C’est pour cette raison que chaque percée, chaque avancée, chaque recul des uns et des autres est scruté avec attention. Les forces russes et les troupes du régime de Damas tentent d’assiéger la ville. Pour y parvenir, ils cherchent à bloquer les routes qui permettent aux rebelles de s’approvisionner en Turquie.
Parce que la Russie y joue sa crédibilité.
« Lorsque l’on parle de bataille d’Alep, on parle très peu de Bachar Al-Assad. On parle des combats, on parle de la Russie, on parle de l’Iran mais très peu du président syrien parce qu’il n’est absolument pas en capacité de reprendre la ville, commente Agnès Levallois. Si Bachar Al-Assad a l’espoir de remettre la main dessus, c’est parce que les Russes ont décidé de mettre tout leur poids dans la balance pour que cette ville retourne dans son escarcelle. »
D’un point de vue plus global, « les Américains ont complètement délégué la gestion de la crise syrienne aux Russes, estime Agnès Levallois. Il y a de l’agitation diplomatique parce que les Américains ne peuvent pas dire clairement ‘on ne s’en occupe pas, on s’en détourne et on laisse faire n’importe quoi’. Mais on s’aperçoit à chaque fois que les Américains délaissent la gestion aux Russes. Donc ils jouent leur crédibilité, leur volonté de montrer qu’ils sont la nouvelle puissance régionale au Moyen-Orient, que ce ne sont plus les Américains qui donnent le ‘la’. »
C’est une question vitale pour les Russes de montrer qu’ils sont maintenant les maîtres du jeu en Syrie. Ils veulent dicter la poursuite des combats et dicter les conditions d’une sortie de crise lorsqu’ils auront décidé que la sortie de crise est une option envisageable.
Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient
la France se mobilise pour obtenir un cessez-le-feu.
L’ONU a classé Alep, en Syrie, comme zone assiégée. Jean-Marc Ayrault se rend ce jeudi 6 octobre à Moscou puis à Washington pour tenter de convaincre Russes et Américains d’adopter une résolution au Conseil de sécurité.
//embedftv-a.akamaihd.net/c0540cd56f5fefc71498a02f893e5372<br /><a href= »http://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/syrie-la-france-se-mobilise-pour-obtenir-un-cessez-le-feu_1858853.html » target= »_blank »>syrie</a>
C’est le symbole d’une guerre qui s’enlise : Alep, ancienne capitale économique de Syrie, dont toute une partie est aujourd’hui en ruines. Depuis deux semaines, l’est de la ville tenue par les rebelles est sous les bombes des régimes russes et syriens. Petit répit pour les 250 000 civils qui vient encore dans cette zone. L’armée syrienne a annoncé une réduction des attaques aériennes.
Pas d’aide humanitaire.
Mais les dégâts sont considérables. Il y a près de 300 morts parmi les civils et de nombreux bâtiments détruits, dont les hôpitaux. L’ONU a classé ces quartiers zone assiégée. Les civils n’ont pas accès à l’aide humanitaire et sont encerclés par l’armée syrienne, dont l’objectif est de reprendre le plus de terrain possible, le plus rapidement possible. La France veut déposer une proposition de cessez-le-feu à l’ONU d’ici la fin de la semaine.
Le Conseil de sécuritédes Nations unies se réunit en urgence pour examiner la situation à Alep-est.

Le Conseil de sécurité des Nations unies se réunit en urgence vendredi, à la demande de la Russie, pour entendre un compte-rendu de l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie sur la grave situation régnant à Alep-est.
L’émissaire de l’ONU, Staffan de Mistura, doit participer à la réunion par vidéoconférence depuis Genève. Il a déclaré jeudi lors d’une conférence de presse que les quartiers de l’est d’Alep tenus par les rebelles pourraient être « totalement détruits » d’ici la fin de l’année si le régime syrien et la Russie poursuivaient leur offensive militaire.
Jeudi, l’opération aéro-terrestre des forces loyales au régime du président Bachar al-Assad a continué sans répit à Alep. Une offensive qui alarme de nombreux pays et l’ONU, qui tente en vain depuis des mois de promouvoir une issue politique au conflit.