Préparée depuis de longs mois, l’offensive pour reprendre la ville irakienne de Mossoul au groupe Etat islamique a commencé ce lundi. On a interrogé deux spécialistes de défense, Michel Goya et Stéphane Mantoux, sur les acteurs, les motivations et les difficultés de cette campagne.

Des fumées dans la parties l'est de Mossoul, seconde ville d'Irak, aux mains de Daech depuis juin 2014. L'offensive pour la reprise de la ville a commencé ce lundi 17 octobre 2016, selon le Premier ministre irakien.

Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a annoncé ce lundi le début de l’offensive pour reprendre Mossoul au groupe Etat islamique (EI). Encore à une quinzaine de kilomètres de la cité, les différentes forces en présence resserrent leur étau. La deuxième ville du pays était tombée comme un fruit mûr aux mains du groupe djihadiste en juin 2014. Décryptage des enjeux de cette bataille.

Près de 30 000 forces fédérales irakiennes sont appuyées par la coalition internationale afin de reprendre la vile de Mossoul.

Quelle est l’importance de Mossoul?

Mossoul est le centre de gravité de Daech et la plus grande ville aux mains des djihadistes: elle comptait près de 2 millions d’habitants avant que l’EI ne s’en empare. C’est depuis la grande mosquée de Mossoul que le chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, est apparu en public en juillet 2014 quelques jours après la proclamation du califat et de là qu’il a appelé tous les musulmans de la planète à se soumettre à son autorité. Elle est une source de puissance et de richesse.

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 Du côté irakien, mais également de Washington, sa chute avait été vécue comme une sévère humiliation. Entraînés et équipés par les Etats-Unis, les 20 000 soldats de l’armée irakienne présents dans Mossoul avaient fui en laissant armes et bagages devant quelque 1500 djihadistes.
 Bataille de Mossoul : qui participe à la reconquête ?

Pourquoi maintenant?

Depuis, les Etats-Unis entraînent l’armée irakienne pour préparer cette reconquête. « Washington fait pression depuis des mois, assure Michel Goya, expert en stratégie et auteur du blog La voie de l’épée, pour que l’armée irakienne lance cette offensive. Prudent, le gouvernement irakien préférait d’abord affronter les menaces plus proches de la capitale irakienne: Tikrit, Ramadi et Fallouja. Barack Obama est soupçonné de vouloir pousser à la roue pour une victoire avant la fin de son mandat, le 20 janvier 2017″. Depuis la reprise des autres bastions de Daech dans le pays, les autorités de Bagdad se préparent désormais à la bataille de Mossoul.

A l'est de Mossoul, des combattants Peshmerga se préparent à l'attaque de Mossoul, 16 octobre 2016

Qui sont les principaux acteurs de cette bataille?

Pour déloger les 3 à 5000 combattants de l’EI, c’est l’armée irakienne (20 à 30 000 hommes) qui devrait être aux premières loges, dont plusieurs milliers de soldats des forces spéciales du contre-terrorisme. C’est elle qui devrait entrer dans la ville, à partir du sud. Au sud, également se tiennent les milices chiites qui vont contribuer à l’encerclement de cette ville sunnite, mais ne devraient pas pénétrer en son coeur. Les miliciens chiites, l’une des principales forces militaires du pays après la déroute de l’armée irakienne en 2014, ont été accusés d’exactions contre les villes sunnites reprises aux djihadistes. Les autorités irakiennes semblent avoir prévu qu’elles n’entrent pas dans le coeur de la cité.

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Parallèlement, « plusieurs dizaines de milliers de Peshmergas kurdessont positionnés sur un arc qui va du sud-est au nord-ouest », préciseStéphane Mantoux, spécialiste d’histoire militaire. Et au nord de la ville, 1500 à 2000 combattants sunnites sont réunis autour d’Atheel el-Noujaifi, l’ancien gouverneur de la province de Ninive dont Mossoul est la capitale. Ce groupe est soutenu par la Turquie, ce qui suscite la défiance de Bagdad.

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L’ensemble de ces forces au sol est appuyé par l’aviation de la coalition internationale qui compte aussi 7000 forces spéciales et conseillers militaires dont 5000 Américains.

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Combien de temps peut durer la bataille de Mossoul?

Les combats pourraient prendre des semaines voire des mois. La prise de villes de moindre envergure comme Ramadi et Falloujah avait duré de longues semaines. On sait que l’EI se prépare minutieusement à cet affrontement. Les djihadistes ont percé des tunnels, creusé des tranchées remplies de carburant prêtes à être enflammées. « Leur mode opératoire depuis le début des préparatifs de l’offensive est assez classique, observe Stéphane Mantoux: incendies de puits de pétrole, attentats kamikazes, tirs de snipers; on peut s’attendre à ce qu’en cas de retrait de certains quartiers, ceux-ci soient truffés de mines comme dans d’autres villes. » 

Daech : la bataille de Mossoul (Irak) a débuté cette nuit

L’EI a aussi réservé des surprises, comme l’utilisation de drones armés. Tous ces indices laissent penser que la bataille pourrait être très dure. Pour autant, « le scénario d’un effondrement rapide n’est pas exclu », nuance Michel Goya. « L’EI pourrait faire le choix de ne laisser qu’un petit contingent dans la ville pour harceler les forces adverses et choisir de se replier par l’ouest, renchérit Stéphane Mantoux. C’est le seul côté de la ville qui n’est pas encerclé. Les stratèges anti-EI lui ont peut-être délibérément laissé une voie de sortie en direction de Tal Afar et de la Syrie. »

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Quels sont les enjeux humanitaires?

Ces combats vont être un véritable défi humanitaire. L’EI le sait bien et compte sur cet atout. Le groupe terroriste s’est déjà servi de civils comme boucliers humains. La population de Mossoul est aujourd’hui évaluée entre 1 et 1,2 million d’habitants. L’ONU se prépare depuis plusieurs semaines à l’arrivée de centaines de milliers de déplacés.

« Contrairement à l’armée russe et au régime syrien qui bombardent massivement sans se préoccuper du sort des civils à Alep, quand elle ne les visent pas intentionnellement, les forces de la coalition agissent avec plus de circonspection quant aux munitions employées et aux cibles visées, explique Michel Goya. Cela va sans doute contribuer à ralentir la puissance de feu de la coalition. » La ville de Ramadi, par exemple, a été presque entièrement détruite, « mais la plus grande partie de la population avait quitté la ville auparavant », ajoute l’expert militaire.

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Quels risques pour l’après-bataille?

La lenteur de la préparation à la reconquête s’explique sans doute aussi par la complexité des négociations et de la coordination entre les différents acteurs sur le terrain et leurs parrains qui ont tous des intérêts divergents.

Mais le principal défi se posera après la reconquête de la ville: il s’agira de ne pas revenir au statu quo antérieur, mélange de corruption, d’autoritarisme, d’incurie et d’autoritarisme du pouvoir chiite de Bagdad envers les régions sunnites qui avait permis à Daech de prendre avec autant de facilité la deuxième ville du pays.

Irak, Syrie, Libye: comment le déclin de Daech s’est enclenché.

Des soldats de l'armée irakienne et des combattants chiites fêtent leur victoire sur les djihadistes de l'Etat islamique, dont ils ont capturé un drapeau, le 4 juin dernier à Fallouja.

L’EI dont l’essor fulgurant avait sidéré en 2014 connait une série de revers significatifs dans ses trois bastions d’Irak, de Syrie, et de Libye. Comment cette inversion de tendance a-t-elle été possible? Qui sont les principaux responsables de ces défaites?

Deux ans après la fulgurante expansion de Daech, la situation semble enfin se retourner durablement pour l’organisation terroriste. En témoigne l’offensive de l’armée irakienne pour reprendre Fallouja en Irak; en Syrie, la « capitale » du groupe Etat islamique (EI), Raqqa, et la ville charnière de Manbij est menacée par les forces kurdes. Le groupe djihadiste a perdu au cours des derniers mois environ 40% des territoires tenus en Irak et 15 à 20% en Syrie. Il a aussi accumulé les défaites en Libye où il est acculé dans son bastion de Syrte. Retour sur cette accumulation de revers alors que les combattants de Daech ont un temps paru invincibles.

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Un recul amorcé en 2015.

La reprise de la ville syrienne de Kobané par les forces kurdes soutenues par l’aviation américaine, en janvier 2015, est d’abord apparue comme une exception. C’est plus tard dans l’année que l’emprise du groupe djihadiste a vraiment commencé à s’effriter, en Irak, avec la reprise de Tikrit, en mars, puis celle de Ramadi, en décembre.

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Le rôle de l’armée irakienne, des Kurdes et de l’aviation occidentale…

En Irak, « les offensives conjointes de l’armée irakienne et des milices chiites soutenues par l’Iran ont été décisives », assure à L’Express le chercheur Dominique Thomas, spécialiste des mouvements djihadistes. Mais, ajoute Romain Caillet, autre expert des groupes djihadistes, « le pilonnage de l’aviation américaine a beaucoup pesé, en Irak comme sur le front kurde en Syrie ». 

Dans ce pays, en effet, Daech a principalement reculé face aux combattants kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD). Il a en revanche récemment progressé face à la rébellion syrienne dans la région d’Alep et celle de Damas « parce que, assure Romain Caillet, contrairement aux Kurdes, les rebelles ne sont pas soutenus par l’aviation américaine ». Et ils ont été affaiblis depuis le début de l’intervention russe, à l’automne, par les assauts de l’armée syrienne soutenue par ses partenaires libanais, irakiens et afghans.

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… et celui, limité, de l’armée syrienne et de l’aviation russe.

 Le régime de Bachar el-Assad, appuyé par l’armée russe, a en effet bien plus concentré ses efforts militaires sur la rébellion que sur l’EI. Ses principaux succès sont la reprise de Palmyre, en mars et la fin du siège de l’aéroport militaire de Kweires, près d’Alep.

Pour Romain Caillet, « la reprise de Palmyre a été possible parce qu’elle était combinée avec la pression exercée sur l’EI par d’autres fronts et à la trêve négociée par Moscou qui a dégagé des forces de l’armée pour cette bataille ».

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Autre raison des déboires des djihadistes, leur idéologie totalitaire et absolutiste. Ils ont été incapables de nouer des alliances avec des acteurs qui auraient pu avoir des intérêts objectifs avec eux, souligne Gilles Dorronsoro dans Le Monde: avec les Etats sunnites du Golfe contre l’Iran ou avec les Kurdes eux aussi désireux de « casser les frontières des Etats nés du démantèlement de l’Empire ottoman ». 

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En Libye, un début de coordination des milices.

La situation en Libye est quelque peu différente. « L’EI n’a jamais réussi à s’y implanter de manière hégémonique », constate Dominique Thomas. Il lui était difficile d’étendre le bastion de Syrte, encadré à l’ouest par les milices de Misrata et à l’est par celles des gardes pétroliers d’Ibrahim Jadhran. L’organisation a même été chassée de la ville de Derna par une alliance entre la population locale et des djihadistes autonomes au cours de l’année écoulée.

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Pour Mattia Toaldo, spécialiste de la Libye à l’ECFR, « la conjonction des efforts des milices longtemps rivales qui ont prêté allégeance au gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj a pesé dans les récents revers de Daech à Syrte. La prise de conscience des Occidentaux de la nécessité de soutenir le gouvernement d’union, après le sommet de Vienne, en mai, est pour beaucoup dans cette dynamique », se félicite l’expert.

La reconquête complète de toute la région aux mains de l’EI pourrait toutefois se heurter à l’intransigeance des djihadistes étrangers -nombreux dans ce réduit-, qui contrairement aux djihadistes locaux, n’ont aucun issue à espérer d’une négociation.

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Vrai défaite ou manoeuvre tactique ?

Le degré de résistance de l’organisation à ces différents assauts varie d’une ligne de front à l’autre et illustre les priorités de l’EI: en Irak, berceau du mouvement, la lutte a été acharnée, et les villes reprises ont été quasiment rasées. Ailleurs, la rapidité de son recul est parfois interprétée comme un choix tactique. Les djihadistes protègent leurs bastions, tels Mossoul et Raqqa, quitte à abandonner des positions moins cruciales que sont à leurs yeux Palmyre en Syrie ou Al-Shadadiet Sinjar en Irak.

En Syrie, en cédant rapidement du terrain aux forces dominées par les Kurdes, les FDS, Daech aurait plusieurs objectifs, estiment certains experts: forcer Ankara à réagir et donc à accentuer la pression militaire sur les combattants Kurdes, proches du PKK, ennemi juré du président Recep Tayyip Erdogan; provoquer des tensions avec le régime syrien -avec lequel les Kurdes entretiennent une relation ambiguë au détriment des rebelles, compte tenu de leurs intérêts communs. Il s’agit peut-être aussi de mettre les Kurdes au défi de tenir un front aussi large.

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Difficultés financières et de recrutement.

Assailli de toutes parts, le groupe djihadiste connaît une saignée de ses effectifs et de son trésor de guerre. Ses reculs territoriaux ont enclenché un cercle vicieux qui accélère ses difficultés. La chute de ses revenus pétroliers, après la perte ou la neutralisation de raffineries en Irak, l’a obligé à diminuer les soldes de ses combattants et à augmenter les impôts dans les zones qu’il contrôle.

L’EI a perdu un nombre élevé de partisans dans les combats ou lors des frappes aériennes. « Quelque 22000 fantassins de l’EI auraient été tués depuis 2014 sur le front irako-syrien », rappelle Dominique Thomas, tandis que les recrues étrangères se raréfient. En cause, la fermeture de la frontière turque et l’attrait terni d’une organisation moins conquérante qu’elle ne l’avait promis. « Ces problèmes d’effectifs ont une incidence sur la formation des combattants, ajoute Dominique Thomas. Leur temps de formation est plus court. Ils sont moins aguerris. »  

L’EI s’efforce toutefois de compenser ces pertes par le recrutement et la formation de combattants locaux. Mais l’organisation, qui a prospéré en se faisant le défenseur des sunnites malmenés en Syrie et en Irak, peine à convaincre. « Elle avait promis de restituer le pouvoir aux sunnites et de leur garantir la prospérité, observe Myriam Benraad. Non seulement, elle n’a pas tenu promesse, mais elle prend les populations civiles en otage ». Désormais, « Les populations sunnites rejettent autant l’EI que les milices chiites et leur mentor, l’Iran. »

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